Extrait 1/3

Le lendemain, à la fin de leur journée à l’Évêché, Santini embarqua son collègue dans sa voiture. Ce dernier affichait sa tête des mauvais jours que Franck semblait ignorer. Il gara la voiture dans un endroit discret, avec une vue directe sur le bâtiment des renseignements généraux. Quand la fille sortit, Maurin la reconnut à la description que lui avait faite son collègue. Une métisse, de taille moyenne, mince. Cependant, il avait omis de préciser que c’était une vraie bombe nucléaire. Lionel se demanda si son chef n’était pas tombé sous le charme de la fille. Il lorgna le profil de ce dernier dont le regard semblait hypnotisé par la demoiselle. Elle avait du monde autour d’elle, et certains collègues semblaient l’inciter à les suivre. Elle agita la main en riant et leur tourna le dos.

— Elle prend la direction des Docks. Elle va sûrement chez elle. On va se planter là-bas en l’attendant.

— Pourquoi on la suit, si tu sais déjà où elle crèche ? s’étonna Maurin.

— Je veux que tu sois au courant.

Quand elle disparut de leurs radars, Franck démarra. Il entama un périple compliqué, pestant contre la circulation dense de la fin de journée. Maurin râla à son tour en regrettant de ne pas l’avoir suivie à pied. La fille ne les avait pas attendus. Même en flânant, elle devait déjà être chez elle en train de siroter un thé glacé. « Qu’est-ce qu’on fout là ? », se demandait Maurin de mauvaise humeur, quand soudain Vanessa Delage sortit de son immeuble. Le visage fardé à outrance, elle portait une robe moulante d’un rouge criard et des chaussures lacées à talons compensés.

— On dirait une pute ! lâcha le jeune lieutenant, estomaqué.

— Elle doit arrondir ses fins de mois. À la DGSI, ils sont comme nous, avec des petits salaires, et des primes à la Saint-Glinglin ! ricana Franck pour masquer sa déception.

Elle monta dans un taxi qu’ils suivirent jusqu’à la cité des Cigales. Ils se regardèrent, perplexes. Qu’est-ce qu’elle allait foutre dans ce lieu, ce no man’s land interdit aux flics ? Lionel révisa son attitude négative, les sens en alerte.

— Merde ! Elle joue à quoi ? s’exclama ce dernier.

— Bizarre. Il faut que je sache ce qu’elle a dans le citron.

— Si on marche sur les plates-bandes de la DGSI, ça va chauffer pour nos matricules. On n’a aucun ordre de mission, aucune autorisation de la hiérarchie pour s’occuper de ça !

— Ne t’inquiète pas. J’en parlerai à Boulin dès demain.

 

 

 

Extrait 2/3

Lionel se retourna et fit un geste à Kévin qu’il comprit aussitôt : la voie était libre. Delage marchait devant lui.

— Je vous raccompagne jusqu’à votre voiture, lui glissa-t-il.

Elle avançait à pas rapides en jetant des coups d’œil furtifs autour d’elle. Ils remontèrent la rue, tournant le dos à Maurin et passèrent le coin d’un immeuble pour revenir à leur point de départ, devant le bistrot.

Ils avancèrent sur le trottoir d’un pas plus assuré. Fausse alerte, songea Gandois. Il attendit qu’elle monte dans sa voiture et mette le moteur en marche avant de la saluer d’un geste de la main. Puis il repartit en sens inverse pour rejoindre son collègue. Il venait à peine de faire quelques mètres quand il entendit une pétarade. Son instinct de flic se mit en branle. Il se retourna et revint sur ses pas, l’arme à la main. Deux individus cagoulés à moto fonçaient à pleine vitesse sur la voiture de Delage. L’engin se mit en travers pour bloquer la voiture. Le passager à l’arrière visa la conductrice en tirant une rafale dans le pare-brise. Gandois hurla ses sommations d’usage avant de faire feu dans leur direction, mais le conducteur cabra sa machine et rebroussa chemin pour disparaître à sa vue. La scène avait duré moins d’une minute. Quand il courut jusqu’à la voiture, il croisa le regard vitreux de la jeune femme. Du sang avait giclé sur le pare-brise et dégoulinait comme des larmes sur la vitre. Des plaies à la tête témoignaient de la gravité de ses blessures. Il ouvrit la portière, et posa son doigt sur sa carotide, sans grand espoir de ressentir le moindre souffle de vie. Il sortit son portable, et appela les secours avant de l’extraire de l’habitacle pour tenter un massage cardiaque.

Les urgentistes prirent rapidement le relais. Kévin s’écarta d’eux pour rejoindre ses collègues.

La rue fut rapidement en état de siège. La police judiciaire, les techniciens de l’identité judiciaire, le légiste, les policiers de proximité, tous se mirent à l’œuvre dans un ballet coordonné. Ces derniers posaient de la rubalise aux abords de la scène du crime. À quelques mètres de là, les urgentistes du SAMU tentaient l’impossible en essayant de réanimer une morte. Gandois se retourna et aperçut Maurin qui se dirigeait à grands pas de géant vers Léo, le patron du bar. Alerté par la fusillade, ce dernier était sorti de sa casemate. Il avait l’air bouleversé de découvrir l’identité de la victime de cette fusillade. Intrigué, Kévin l’observa de loin agiter ses bras en signe de dénégation pendant que Maurin lui parlait. Il les rejoignit.

— Je demandais à monsieur Léo s’il connaissait les activités de mademoiselle Delage, le renseigna Maurin en croisant son regard interrogateur. Mais il jure que non ! Est-ce que je dois le croire, capitaine ?

— Monsieur Léo, mon collègue y va un peu fort. Si c’était une amie, vous devez être bouleversé. Donc, vous n’avez prévenu personne de sa présence dans le quartier, n’est-ce pas ?

— Non, je vous jure que non ! se défendit le patron du bar miteux. Je connais Vanessa depuis qu’elle a dix-huit ans. À l’époque, elle sortait avec un ami qui, depuis, s’en est allé, dit-il en pointant l’index vers le ciel. Un infarctus, précisa-t-il. C’était une gamine adorable.

Il soupira.

— Ensuite, on s’est un peu perdus de vue. C’est terrible. Je l’ai revue l’année dernière. Elle travaillait à la DGSI, mais elle s’y ennuyait. On a reparlé du bon vieux temps, et puis plus de nouvelles jusqu’à aujourd’hui.

Un imperceptible spasme traversa la joue du vieil homme.

— Nous allons vous demander de venir au commissariat pour nous dire tout ce que vous savez sur elle.

 

 

 

 

Extrait 3/3

Dans le VIIIe arrondissement de Marseille, la vie trépidante s’apaisa en même temps que la chaleur étouffante. À bientôt 22h, un couple se présenta au gymnase de M. Lebert. Ils voulaient profiter d’une petite heure de sport avant la fermeture. L’homme était de taille moyenne, mince, les cheveux bruns, le teint légèrement hâlé. Sa compagne était une jolie jeune femme toute menue. Ses cheveux bruns étaient coupés à la garçonne. Ils se changèrent dans les vestiaires, et se rendirent dans la salle d’entraînement. L’homme s’échauffa sous une barre de musculation, pendant que sa compagne transpirait sur un tapis de course. Leur séance dura trois quarts d’heure à plein régime.

L’établissement allait fermer et Pierre Lebert raccompagna ses derniers clients jusqu’à la porte. Comme à son habitude, il effectua la fermeture de son établissement, puis saisit le bras de sa charmante épouse pour rejoindre à pied leur domicile. À quelques mètres de là, assis à l’avant de leur voiture banalisée, tous feux éteints, Gandois et Louvin les suivaient des yeux jusqu’au moment où ils les perdirent de vue. Des policiers disséminés sur le trajet prirent le relais. Le couple se dirigeait vers son domicile d’un pas tranquille.

Discrètement planqués sur le toit des immeubles, des hommes de la BRI étaient prêts à intervenir en cas d’attaque. Kévin et Victor reçurent l’appel d’un agent désigné sous le nom d’Arsène. Sa voix grave résonna dans l’habitacle :

— À tous d’Arsène, rien à signaler, je répète, rien à signaler.

Gandois mit le moteur en marche et partit en direction de leur position. Cependant, la radio grésilla et annonça la nouvelle attendue, et redoutée en même temps :

— Ici, Le Duc, 2 objectifs repérés. Côté gauche de la rue, en face du 113, avant le lycée. Je répète, deux objectifs repérés en face du 113, avant le lycée.

Gandois voyait très bien le parc boisé. Les véhicules des riverains stationnaient à cheval sur le trottoir opposé, malgré le panneau d’interdiction. Le jardin offrait un endroit propice pour surprendre la famille Lebert.

Fébrile, Kévin appuya sur l’accélérateur. À cent mètres du lieu indiqué, il freina et coupa le moteur. Leur brassard de police en évidence, Louvin et lui sortirent de la voiture. La radio restait anormalement silencieuse. Soudain, des cris et des détonations résonnèrent dans le quartier paisible. Gandois et son collègue se mirent à courir dans la direction des échauffourées. Des volets s’ouvrirent. Victor Louvin gueula aux habitants de refermer leurs fenêtres. Des tirs nourris claquaient entre les immeubles comme les fusées d’un feu d’artifice. Victor fit jouer la culasse de son arme. Kévin retint son bras.

— Attends !

Soudain, le vacarme des détonations stoppa net.

— Ici, Lucas ! Situation sous contrôle, je répète, situation sous contrôle !

Le cœur shooté à l’adrénaline, Gandois piqua un sprint pour rejoindre le lieu de l’attaque. De loin, il aperçut une forme allongée sur le bitume, derrière une voiture en stationnement. C’était madame Lebert. La lumière crue des réverbères révélait la blondeur de ses cheveux.

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