Extrait n°1

Le vent se lève, faisant frissonner les buissons, il s’amplifie, devient de plus en plus violent, impétueux, jusqu’à faire vibrer les murs du donjon, produisant d’étranges craquements et bruits sauvages. La seule clarté illuminant les ruines du château de Tautavel, ressemble à un grand feu. La lune accentue les ombres des bruixes[1] qui font virevolter leurs longues robes. Leurs contours s’allongent au gré de leurs danses, de leurs incantations inintelligibles.

Julien s’est tapi, à l’abri d’un fourré épineux, derrière un monceau de pierres. Il reste là, médusé, terrorisé, n’osant le moindre geste risquant de révéler sa présence. Il assiste à ce ballet diabolique, jusqu’à ce qu’une apparence masculine, semblant dénudée, se dessine dans ce clair-obscur. Cette ombre avance contre son gré, fermement tenue par des cordes aux mains des diablesses.

Par curiosité, Julien se rapproche malgré la peur qui l’envahit, il veut savoir. Médusé, il ne lui reste plus qu’à demeurer un acteur passif dans cet environnement angoissant.

« J’ai peur ! Je savais que ce moment se produirait, je l’ai vu en rêve. » La forme humaine se débat vainement, une bruixe lève un bâton de jet[2].

« À partir de cet instant, j’ai compris qu’un sacrifice rituel allait commencer. »

Lorsque la pointe transperce la poitrine, un grand cri déchire la nuit. La silhouette est secouée par de violents spasmes puis s’affaisse mollement. Pendant quelques instants la sarabande endiablée se poursuit, jusqu’à ce que la nuit et le silence reprennent possession de ce lieu en ruine.

Julien, toujours sous le coup de cette atrocité qu’il considère comme irréelle, par crainte d’être surpris, patiente encore quelques instants. Les seules clartés qu’il distingue, sont les yeux des chouettes nichées dans des pans de mur.

[1] Bruixes : sorcières en Catalan.

[2] Arme de chasse ou de guerre, utilisée de la préhistoire à l’antiquité.

Extrait n°2

Bassols compose le numéro du légiste qui décroche à la première sonnerie :

— Bonjour doc, Bassols à l’appareil, la cheffe demande où en est votre rapport sur Tautavel ?

— Dis-lui qu’elle doit l’avoir sur son PC. Qu’elle vérifie avant de me relancer !

Martineau qui a entendu la réponse ajoute :

— Susceptible notre doc ! Vous avez raison je l’ai reçu. Ce n’est pas vieux moins de dix minutes.

— Rappelez-moi si vous avez besoin d’éclaircissements.

— Merci j’espère que ça ira !

Elle termine l’entretien tout en lancçant l’impression du rapport d’expertise établie sur le corps du fameux monsieur X.

— Viens à côté de moi que nous prenions connaissance de ce que le doc nous a transmis.

Long silence interrompu par Vanessa Bassols, qui reprend à haute voix un passage qui l’interpelle :

— « Traces de fibres microscopiques de bois dans la plaie du thorax » ! Ce qui corrobore la version de la mort par un bâton de jet.

— En effet ! L’histoire de Julien Jaume se vérifie. Il faut reconnaître que sur l’instant cela semblait tellement débile. Donc tous les éléments donnés par ce garçon pourraient être véridiques. Ce qui tend à démontrer que ces bruixes ou sorcières, comme tu veux, auraient créé une mise en scène, mais dans quel but ?

— C’est vrai qu’elles auraient pu le refroidir sans cette mascarade. Attends un peu, regarde cet autre mail ! C’est Bonnafou qu’est-ce qu’il a trouvé ? Il confirme l’absence de traces de sang sur la plate-forme rocheuse, le monsieur X n’a pas été tué à cet endroit.

— Certainement au donjon, là-haut.

— Seule solution, la scientifique doit s’en occuper. En attendant tu mets deux des nôtres en recherche de gens signalés disparus. N’aie pas peur d’élargir le périmètre. Qu’ils fassent vite, il nous faut un nom pour comprendre et nous permettre d’établir un mobile.

— Guéguen et Bénissa ça te va ?

— Parfait ! Tu supervises je vais au musée voir de quoi est fait ce fameux bâton de jet.

Extrait n°3

— Lorsque nous étions ados toutes deux, nous avons fait les quatre cents coups, que des trucs sympas, rien de répréhensible. Un soir nous sommes allées en stop à Perpignan, pour passer la soirée dans une discothèque. Nous avons dansé, bu, fait la fête, un peu plus que d’habitude. Nous n’étions pas saoules, juste gaies. Soudain, un jeune que nous ne connaissions pas est venu se joindre à nous. Il avait une attirance toute particulière pour Brigitte, ravie de cette situation et de ce début d’aventure. Alors que la soirée s’avançait, elle est venue me dire qu’elle ne rentrerait pas avec moi, que ce garçon la raccompagnerait.

— Et qu’avez-vous fait ?

— Comme je suis d’un naturel méfiant, je l’ai mise en garde, rester seule avec un type qu’elle ne connaissait pas, ce n’était pas sérieux. Elle m’a répondu qu’elle savait ce qu’elle faisait, je n’avais qu’à rentrer on se verrait demain. Lorsque j’ai quitté la salle, il devait être aux alentours de minuit. Le lendemain comme d’habitude, nous devions nous retrouver à la fontaine, elle n’y était pas ! Pensant qu’elle récupérait de sa soirée et de sa nuit, je me suis rendue à son domicile…

— Excusez-moi de vous interrompre ! Toutes deux, à cette époque vous aviez quel âge ?

— Pour elle, vingt-deux, moi j’ai un an de plus.

— Elle vivait seule ?

— Brigitte avait quitté depuis plus de deux ans le domicile familial. Elle voulait sortir du monde viticole et faire autre chose de sa vie. À cette époque j’étais comme elle, le milieu rural n’était pas ma tasse de thé mais faute d’études je n’ai guère eu d’autres choix que celui de travailler à la vigne comme tous ceux qui restent au pays.

— Poursuivez !

— Ah oui ! Donc ce jour-là elle était introuvable. Ce n’est que le surlendemain que je l’ai croisée, elle rentrait chez-elle. Elle avait le visage boursouflé, une mine épouvantable. Elle s’est mise en pétard lorsque je lui ai demandé ce qu’elle était devenue. Ce n’était plus l’amie que je connaissais. Je me sentais coupable de l’avoir laissée seule. Il a fallu plus de six mois pour qu’elle cesse de m’éviter et commence à me parler de ce qui la minait.

— Un viol je suppose ?

— Dans le mille ! Le jeune en question pas plus de vingt ans, l’avait droguée et violée. Je vous passe les détails sordides.

— Ultérieurement, comment a-t-elle réagi ?

— Vous voulez dire envers-moi, c’est votre question ?

— Oui d’une part en ce qui vous concerne et d’autre part au quotidien, son comportement avait véritablement changé ?

— Brigitte n’était plus celle que j’avais connue auparavant, j’étais perturbée et déçue. Nous avons alors espacé nos moments de complicité.

— Je lui ai demandé ce qu’elle comptait faire, porter plainte par exemple.

— Ne te mêle pas de ça, c’est mon affaire ! Il va payer ! m’a-t-elle répondu.

— Pourquoi n’est-elle pas venue à la gendarmerie ? Nous aurions pu l’aider, la conseiller.

— Elle disait que cela ne servait à rien, que c’était surtout dégradant et avilissant. Étaler cette déchéance, il y aura des questions, certainement de la suspicion, des explications, des détails intimes, on va fouiller ma vie privée. Je la sentais résolue et avide de vengeance. Elle a ajouté qu’elle préférait appliquer sa loi.

— Comment s’est-elle prise pour faire justice ?

— Je ne devrais pas ! Je vous l’ai dit je ne veux pas salir sa mémoire.

— Ce n’est pas ce que je vous demande, simplement de me livrer ses intentions du moment.

 

 

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