EXTRAIT 1

La religieuse entra dans la crypte et s’agenouilla devant l’autel.

— Mon Dieu, pardonnez-moi. J’ai failli à ma mission. J’étais la gardienne des reliques du Saint, et j’ai laissé quelqu’un nous les voler. Je ne suis pas digne de votre confiance. Je mérite d’être châtiée. Punissez-moi comme il se doit, je me soumettrai à toutes vos volontés. Lorsque j’aurai expié mes péchés, ayez pitié de moi et acceptez-moi en votre sainte maison.

Elle se signa, se releva douloureusement et s’apprêta à accueillir l’homme qui lui avait demandé un rendez-vous et qui s’était présenté comme un journaliste. En lui ouvrant la porte, son instinct lui signala immédiatement qu’elle n’aurait pas dû le laisser entrer. Elle l’avait déjà vu quelque part et il ne ressemblait pas du tout à ce qu’il prétendait être. Elle refusa alors de répondre à ses questions et, prise de panique, finit par l’insulter. Lorsqu’il l’empoigna en brandissant un énorme couteau, elle comprit que son heure était venue. Elle ferma les yeux et attendit l’exécution de la sentence.

 

 

EXTRAIT 2

Ici, à Fontcouverte, mon environnement sera différent. D’après ce que j’ai pu remarquer, l’âge moyen dans mon quartier est plutôt élevé. La rue est étroite, mais ensoleillée. On y entre par une allée de platanes, puis les maisons s’agglutinent les unes aux autres, serrées pour mieux se protéger du vent. La plupart des maisons ont un jardin à l’arrière, qu’on ne voit pas de la rue. La mienne est la seule à avoir un jardin, modeste, à l’avant et ceux qui passent devant ont du mal à s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Cela ne me dérange pas, je n’ai rien à cacher ni rien à montrer.

En ce premier dimanche d’août, je décide de visiter mon nouveau quartier.

Ma rue monte lentement vers le centre du village, l’eau de la source coule dans les caniveaux. La petite place centrale, baptisée pompeusement « de la République » arbore les vestiges d’une enseigne qui est celle d’un ancien café, puis après avoir passé le porche du château, on arrive à l’église, en face de la maison natale de Saint Régis. Je reconnais le lieu que j’avais eu du mal à trouver la première fois. Devant ce qu’on appelle « le berceau de Saint Régis », une religieuse m’observe et me fait signe de la rejoindre. Elle est tellement ridée qu’on a du mal à lui donner un âge. En m’approchant d’elle, je suis ébloui par la clarté de son regard, deux yeux d’un bleu intense qui vous fixent comme s’ils pouvaient percer tous vos secrets les plus intimes.

— Vous êtes le nouveau journaliste qui a photographié l’évêque les fesses en l’air ?

— Oui, on peut dire ça, je m’appelle Alexandre.

— Moi, c’est sœur Scholastique.

— Enchanté, ma sœur, je ne savais pas qu’il y avait une communauté de religieuses à Fontcouverte.

— Communauté est un terme un peu fort, nous sommes deux, sœur Clarisse et moi. D’ailleurs, elle arrive.

Elle me présente sa collègue qui tient dans les mains un cageot rempli de légumes de saison. Sœur Clarisse me murmure un timide bonjour avant de s’éclipser à l’intérieur de la maison. Sœur Scholastique m’explique qu’elles possèdent un petit jardin aux abords du village et que sa camarade adore s’en occuper presque tous les jours.

— Elle préfère la compagnie des légumes à celle des hommes, me confie-t-elle.

— Ah, et sinon, quel est votre rôle ici ?

— Nous sommes pour ainsi dire les gardiennes du berceau de Saint Régis. Nous sommes chargées d’entretenir les locaux et de les faire visiter aux pèlerins.

— Ça m’intéresse. Vous avez le temps de me montrer ça aujourd’hui ?

— Tout de suite ?

— Si possible, oui.

Elle me guide alors dans ce qui a été la maison natale de Jean-François Régis, en 1697. Elle a été rénovée et constitue à présent la demeure des deux religieuses. En passant dans la cuisine, nous croisons sœur Clarisse qui a déjà commencé à laver et éplucher les légumes, probablement pour leur déjeuner. Me voyant, elle baisse la tête, faisant mine de se concentrer sur son activité.

L’ancienne cave a été réaménagée en crypte. Rien de bien passionnant, mais sœur Scholastique est intarissable sur la vie du Saint, au point que je suis un peu saoul de ses paroles, alors je prétexte une urgence pour prendre congé. Je ne veux cependant pas la quitter sans avoir son avis :

— Que pensez-vous de cette histoire de reliques ?

— C’est un bien grand drame. Celui qui a fait ça est certainement guidé par la main du démon. Dieu nous ramènera les reliques et le coupable sera châtié.

— Sans doute, dis-je sans conviction. Auriez-vous du temps à me consacrer un prochain jour pour me parler de l’histoire de ces reliques ?

— Pas de problème, mais il y a quelqu’un qui pourrait vous en parler mieux que moi, une personne très érudite, qui a un doctorat en histoire.

— Qui est cette personne ?

— La bibliothécaire, Marie Marty.

— Très bien. J’irai la voir, merci.

Repassant par la cuisine pour sortir de la maison, une bonne odeur d’oignons grillés se fait sentir. J’essaie de briser la glace avec sœur Clarisse :

— Vous allez vous régaler !

Au lieu de réagir, elle fait comme si elle n’avait pas entendu et se concentre sur sa casserole. Je lance un « Au revoir, ma sœur » et je sors.

Je me doute bien que la bibliothèque n’est pas ouverte un dimanche, alors je rentre chez moi pour goûter les plaisirs du farniente. De plus, il fait très chaud, ici, en août, le thermomètre affiche 38°C, et l’intérêt de ces vieilles maisons en pierre accolées les unes aux autres est qu’elles conservent la fraîcheur sans besoin de climatisation.

 

 

EXTRAIT 3

Je ne m’attendais pas à ce que les mois d’été soient si occupés sur le plan professionnel. En Alsace, c’est plutôt calme, tout le monde est en vacances, les abonnements sont suspendus, c’est une période assez tranquille pour un journaliste. Ici, c’est l’inverse. La région est envahie par des meutes de touristes, tous les hôtels et gîtes sont complets, et chaque village s’emploie à organiser au moins une fois par semaine une fête où le vin coule à flots pour accompagner des kilomètres de saucisses grillées, sous des flots de musiques plus ou moins qualitatives. J’apprécie néanmoins le goût prononcé pour la bonne chanson française, et l’Occitanie a la chance d’avoir vu naître quelques-uns de nos plus grands artistes du music-hall : Bobby Lapointe à Pézenas, Georges Brassens à Sète, Charles Trénet à Narbonne et Claude Nougaro à Toulouse. N’oublions pas Olivia Ruiz à Marseillette. Pierre Richard possède un vignoble à Gruissan et fait quelques apparitions dans les fêtes villageoises.

Avec Stéphanie et Guillaume, nous nous sommes partagé la tâche de façon que chacun d’entre nous trois parcoure autant de kilomètres que les deux autres. Mon mois d’août a donc été très occupé et je n’ai pas pris le temps d’aller voir la bibliothécaire de Fontcouverte. Ce n’est qu’après la rentrée scolaire que je lui téléphone pour solliciter une entrevue.

— Madame Marty ?

— Mademoiselle, oui.

— Excusez-moi, Mademoiselle Marty, je suis Alexandre Haeffel, journaliste à la Libre Occitanie, et je souhaiterais vous rencontrer.

— Je sais, sœur Scholastique m’a déjà parlé de vous. Je me demandais quand vous m’appelleriez.

— Quand pouvons-nous nous voir ?

— Ce soir, après la fermeture de la bibliothèque, si vous voulez. Je vous y attendrai à partir de 18h.

— Parfait, à ce soir.

Sa voix est douce, presque enjôleuse. À 18h précises, je frappe à la porte de la bibliothèque qui jouxte la mairie et la même voix clame :

— Entrez !

— Bonjour mademoiselle, dis-je en tendant la main.

Elle ne me laisse pas le temps d’en dire plus, vient vers moi, me fait la bise et me propose :

— Je crois que l’on peut se tutoyer et s’appeler par nos prénoms, moi c’est Marie.

— Moi c’est Alexandre, mais vous… tu peux m’appeler Alex. Merci de me recevoir. Le but de ma visite est autant personnel que professionnel. Je commence à m’intéresser sérieusement à cette histoire de vol de reliques, et d’après sœur Scholastique, tu serais la plus apte à m’apprendre des détails sur Saint Régis et les liens qu’il pourrait y avoir entre Fontcouverte et Rennes-le-Château.

— Ah ? Tu as déjà fait la relation ?

— C’est l’évêque qui m’a mis la puce à l’oreille.

— Oui, Monseigneur Plantier, très sympa pour un cureton.

Cette fille me plaît, elle est intelligente et directe, et nous sommes apparemment sur la même longueur d’onde. Physiquement, elle n’est pas pour me déplaire non plus. Assez grande, très brune, de grands yeux verts, de belles rondeurs. Elle poursuit :

— J’ai fait pas mal de recherches sur l’histoire de la région et ses mystères. Les Cathares, par exemple, ont fait couler beaucoup d’encre et alimenté bien des fantasmes. À mon avis, ce sont eux qui ont forgé le caractère des gens d’ici : rebelles, indépendants et entêtés, mais amoureux de leur prochain. Sur Saint Régis, il n’existe pas beaucoup de littérature. Un père de la compagnie de Jésus a fait éditer une histoire de Saint Régis, et Frédéric de Curley a publié en 1886 Le tombeau de Saint Régis à La Louvesc. Il faut admettre que notre bon Régis n’a pas suscité l’enthousiasme des biographes. Il semble même que les pèlerins se pressent davantage à Lalouvesc qu’à Fontcouverte. En revanche, on trouve énormément d’histoires, vraies ou farfelues, sur l’abbé Saunière de Rennes-le-Château.

— Voilà, nous y sommes, mais quel rapport entre les deux hommes d’Église ?

— Je n’ai rien trouvé depuis le vol des reliques, malgré mes recherches, à part le fait qu’ils sont tous les deux hommes de foi.

— Je pense que la clé du mystère est là. Il n’y aurait pas un point commun qui t’aurait échappé ? Peut-être au moment de la restitution des reliques à Fontcouverte. L’évêque m’a appris que c’était un homme politique qui les avait apportées.

— Oui, c’est vrai, ça m’avait frappée à l’époque. En recherchant pourquoi Dujardin-Beaumetz avait été mêlé à l’histoire des reliques, je me suis rendu compte qu’il faisait partie de sociétés secrètes, alors j’ai creusé de ce côté-là et devine quoi ?

— Quoi ?

— Il est fort possible que Saunière et le député se soient rencontrés à Paris au cours d’une réunion, avec d’autres membres de sociétés diverses et que c’est à partir de ce jour que l’abbé s’est soudainement enrichi.

— Tiens, tiens.

— Et, tiens-toi bien, le député est ensuite devenu ministre, plus exactement sous-secrétaire d’état aux beaux-arts, pendant la présidence d’Armand Fallières, celui-là même qui avait fait sanctionner l’évêque de Carcassonne alors qu’il était encore ministre. Ce même évêque, un certain Arsène Billard, aurait participé à la rencontre de Paris entre Saunière et Dujardin-Beaumetz.

— Ouh là là, ça devient compliqué, et de toute évidence il y a des implications politiques là-dedans.

— C’est plus qu’évident, mais ce n’est pas tout. La littérature regorge d’allusions au curé de Rennes-le-Château. Tu as lu le Da Vinci Code de Dan Brown ?

— Qui ne l’a pas lu ?

— Crois-tu que ce soit par hasard que le professeur assassiné au début du roman s’appelle Jacques Saunière ?

— Ah, tiens, je n’avais pas remarqué !

— Il y a plus remarquable. Tu connais Maurice Leblanc ?

— Oui, l’auteur d’Arsène Lupin.

— Leblanc était contemporain de l’abbé Saunière et probablement franc-maçon. Il est très plausible que les deux hommes se soient rencontrés. Dans l’Aiguille creuse, l’escalier compte exactement 357 marches, qui est un chiffre hautement symbolique.

— Et alors ?

— Ça ne nous apprend rien, c’est juste pour confirmer que Leblanc avait bien un lien avec la franc-maçonnerie. Un autre épisode a pour titre 813, qui est la date de la fondation de l’église d’Alet-les-Bains, dans l’Aude. Dans un autre roman, on trouve un certain « abbé Gélis » qui était connu de Saunière.

— Ah oui, là, ce n’est plus du hasard !

— Le plus troublant, c’est l’origine du nom du gentleman cambrioleur.

— Je t’écoute.

— Arsène, comme le prénom de l’évêque qui protégeait Saunière.

— Coïncidence.

— Sûrement pas. Si tu visites la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne, tu verras devant l’autel à droite le tombeau de l’évêque Arsène Billard.

— Rien de plus normal.

— Sur la gauche, dans un transept, on trouve le buste d’un certain Saint Lupin.

— J’imagine que Maurice Leblanc est venu un jour dans cette cathédrale, qu’il est tombé sur ces deux inscriptions et que cela lui a inspiré le nom de son héros.

— C’est possible, mais ça prouve surtout que l’écrivain est venu dans la région après la mort de l’évêque qui date de 1901. Or, Arsène Lupin a été créé en 1905, ce qui permet de penser que Maurice Leblanc s’est inspiré de Monseigneur Billard non seulement pour le prénom de son héros, mais aussi pour toute la série de ses aventures, et que celles-ci sont liées d’une façon ou d’une autre à la franc-maçonnerie.

— Bon, je résume. Des francs-maçons issus des milieux politiques et religieux auraient comploté à la fin du 19e siècle pour une raison inconnue, ce qui aurait contribué à la richesse de l’abbé Saunière et de quelques autres. Je ne vois pas le rapport avec les reliques de Saint Régis.

— Justement, c’est peut-être ça, la raison inconnue.

— J’ai besoin d’y voir plus clair, je vais aller ruminer tout ça tranquillement chez moi.

— Tu ne préfères pas venir passer la nuit chez moi ?

Je ne me le fais pas répéter deux fois.

Nous avons passé une nuit formidable, mais au matin, je n’y voyais pas plus clair.

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