EXTRAIT 1 

Bernard se souvient très bien du moment où il a décidé de tout plaquer. Pas un jour ne passe sans qu’il y pense. Il lui arrive d’avoir des regrets et des remords, c’est vrai mais cet abandon était vital et nécessaire à sa renaissance. Malgré les années et l’éloignement, les images sont restées intactes dans sa tête tout comme chaque détail qui s’est mis sur le chemin de cette journée particulière. Que ce soit l’odeur de la pluie, les couleurs du ciel ou encore l’heure de son départ. À croire que les souvenirs ont eu la volonté de se graver dans sa mémoire.

Il se revoit au volant de sa Mercedes, libre comme un papillon, fier d’avoir enfin eu le courage de faire un choix et de l’affronter malgré le fait que celui-ci n’était certainement pas le meilleur. Oui, dans chaque décision, il y a inévitablement des laissés-pour-compte. En l’occurrence, deux personnes qu’il aimait d’une certaine manière.

Sur le trajet, il se souvient d’avoir souri, chose qu’il ne faisait plus très souvent à ce moment-là de sa vie ou du moins pas autant qu’à cet instant précis. Il avait été trop longtemps prisonnier d’une situation qu’il avait lui-même engendrée et dont il n’avait pu entrevoir une autre issue que celle de la fuite. Il avait donc choisi de tout laisser derrière lui au sens propre comme au sens figuré c’est-à-dire sa maison, son job, Clothilde, ses meubles et puis Sarah. Tout ce qui avait fait sa vie durant plus de cinq ans et qui remonte aujourd’hui à vingt-quatre longues années. Comme le temps pouvait passer vite.

À l’époque, il était jeune et séduisant mais à présent, quand il se regardait dans le miroir, il ne voyait plus qu’un homme arrivant à l’âge de la retraite. Est-ce que l’on pouvait être éternellement impuni de ses actes ? Allait-il repartir sur les traces de Clothilde et Sarah une fois seul et inutile chez lui ? Ne serait-ce pas un pur acte d’égoïsme ? Avait-il attendu la disparition de sa mère pour s’autoriser à vivre ? Tant de questions pour si peu de réponses.

 

 

EXTRAIT 2

Je regarde Xavier avec dégoût. Depuis que sa mère lui a annoncé mon déclin, il se pointe systématiquement tous les jeudis soir. Il aurait développé une certaine inquiétude pour les vieux jours de sa grand-mère. Je crois que je l’ai vu davantage ces derniers mois que de toute son existence, ingrat qu’il est. Je n’aime guère la pitié des gens et encore moins celle de ma propre famille, pour ce qu’il en reste.

Née il y a plus de septante-cinq ans, j’ai fait ma vie dans le music-hall. La musique et la scène ont été les deux grandes passions de ma vie. Petite, je m’imaginais déjà sur scène dans de somptueuses robes à paillettes. J’avais deux références indétrônables : Dalida pour la France et Marilyn Monroe pour la scène internationale. Deux femmes aux destins tragiques.

Issue d’un milieu opposé à cet univers, j’ai très vite déchanté et j’ai vu par la même occasion, mes rêves de petite fille s’envoler. À en croire mes parents, cette lubie passerait avec l’âge. Comme les poupées que l’on fourgue au placard après deux ou trois années de loyaux services. Mon projet d’avenir se voyait donc confronté à mon éducation.

Fille unique, mes parents ont tous les deux exercé une brillante carrière. Mon père était chirurgien orthopédique dans un grand hôpital catholique et ma mère était cardiologue. Mes parents se sont rencontrés lors d’un gala de charité. Je suis née neuf mois plus tard. J’ai été élevée par Mylène, une nounou indomptable et froide comme la roche. À se demander si la jeune femme savait sourire. Il n’y eut que deux mantras dans mon enfance : ordre et rigueur. C’est ainsi que je n’ai jamais bénéficié du moindre geste de tendresse ou de la moindre preuve d’amour.

Lors de cette fameuse soirée de charité, c’est l’alcool qui avait rapproché la cardiologue et l’orthopédiste. Mon père venait de se faire larguer par la seule femme qu’il avait un jour aimée et ma mère était une femme libre qui donnait son corps et son âme à sa profession. L’ivresse avait emporté les deux amants d’un soir vers une chambre d’hôtel et si le destin avait été de leur côté, ils se seraient quittés le lendemain comme deux étrangers. Sauf que moi, j’ai été conçue cette nuit-là. J’ai grandi dans le ventre de ma mère à son insu et quand elle a fini par comprendre le tour que son corps lui avait joué, c’était trop tard. C’est l’impossibilité de me faire disparaître qui avait à nouveau réuni mes parents qui n’avaient de catholiques que leurs lieux de travail. Autant dire que j’ai foutu un sacré bordel dans leurs vies.

 

 

EXTRAIT3

À dix-sept ans, on n’est pas sérieux et je peux vous garantir que c’est à cette période que j’ai fait le pari le plus stupide de mon existence : brancher le tombeur de terminal. De deux ans mon aîné, l’heureux élu se dénommait Louis et toutes les filles se l’arrachaient. Loin d’être méchant, il était plutôt du genre intouchable et veste en cuir.

Célibataire depuis trois semaines, Louis était un cœur à prendre sans oublier qu’il était un très bon parti. Son père était manager musical, il encadrait des jeunes stars en devenir et sa mère travaillait dans la publicité. C’est dans cet univers qu’ils s’étaient rencontrés et les mauvaises langues racontaient aussi que madame n’hésitait pas à user de ses charmes pour obtenir ce qu’elle désirait. Ils possédaient une maison ultra-luxueuse avec terrain de tennis et piscine chauffée. Souvent absents à cause de leurs professions respectives, Louis avait eu la bonne idée d’organiser chez lui, la soirée de fin d’année. Le piège à filles par excellence et celui de ma vie au passage.

Je connaissais la réputation de Louis, le garçon tenait de sa mère en ce qui concerne les relations amoureuses. Honnête avec la plupart de ses conquêtes, celles-ci savaient délibérément qu’une autre viendrait tôt ou tard la remplacer mais allez expliquer ça à une jeune fleur bleue qui croyait encore aux contes de fées et au prince charmant.

Faisant partie du même club de natation, je savais que mon invitation à l’évènement n’était qu’une formalité et j’en eus la confirmation le samedi suivant lors de l’entraînement matinal. Oui, je faisais partie des chanceuses qui avaient l’occasion de mater son corps d’athlète discrètement. Il ne m’était pas encore venu à l’esprit qu’il pouvait me plaire, mettant de côté mes chances pour la simple et bonne raison qu’à l’école, je faisais partie du cercle des filles transparentes.

Depuis quelques semaines néanmoins, j’avais pris davantage confiance en moi, me libérant de mon ingrate adolescence. Je me trouvais désormais jolie et l’intérêt récent que portaient certains garçons à mon égard venait confirmer mon hypothèse. J’avais besoin d’un coup de pouce et ce pari serait la meilleure opportunité d’y accéder.

D’ordinaire discrète sur la façon de m’habiller à l’école, j’avais décidé de tout miser sur mon look afin d’attirer un maximum de regards et de mettre toutes les chances de mon côté. Les garces de ma classe allaient tomber des nues en découvrant la nouvelle Clothilde. J’ai mis plus de trois semaines à peaufiner ma tenue et mon esthétique n’hésitant pas à appliquer un nombre incalculable de crèmes différentes sur ma peau afin de la rendre la plus soyeuse possible. Je suis allée chez l’esthéticienne et le coiffeur. J’ai parcouru une quinzaine de boutiques différentes, le tout en cachette de mes parents. Coincés et peu ouverts sur l’éducation sexuelle, ils auraient déchiré la tenue que j’avais spécialement choisie pour être la reine de la soirée.

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