Extrait 1

Alerté par un épais nuage de fumée, un habitant du hameau des Troncs avait contacté rapidement la caserne du Grand-Bornand. Arrivés sur les lieux, les pompiers n’avaient pu que constater les dégâts et éviter que les flammes ne se répandent dans la forêt.

Le bus était garé au bout d’une route qui s’arrêtait, proche d’un parking prisé des randonneurs pendant les beaux jours, mais déserté le reste de l’année, les balades n’étant pas accessibles dû au risque d’avalanches. Il fallait continuer en bas du village du Grand-Bornand pour y accéder puis s’engager sur une longue route sinueuse peu fréquentée l’hiver et dont les habitations se clairsemaient au fil des kilomètres. En cette fin du mois de mars, le parking ressemblait à un immense désert blanc. Guillaume ne fut donc pas étonné en voyant les grosses chaînes autour des roues qui avaient survécu à l’incendie, mais eut une pensée admirative pour le chauffeur qui avait réussi à amener son véhicule jusque-là.

— Y a des victimes ? s’enquit Perney.

— Non, capitaine. Le bus était vide, mais on a retrouvé des bidons d’essence de l’autre côté.

— Avez-vous déjà pu joindre l’autocariste pour avoir des infos sur le véhicule et ce qu’il faisait là ?

— On n’a pas encore pu identifier la compagnie.

Guillaume sentit l’exaspération le submerger. Il pouvait dire adieu à sa soirée.

L’autocar était méconnaissable. Le policier en fit le tour. Les plaques d’immatriculation étaient illisibles. Le pompier avec lequel il s’était entretenu lui avait confirmé que le témoin n’avait aucune idée du temps depuis lequel le bus s’était échoué là. Sa maison se trouvait à presque deux kilomètres de là, et il ne s’aventurait pas jusqu’au bout de cette route en hiver. Il chercha des traces, mais l’obscurité et les épais flocons qui ne cessaient de tomber ne lui facilitèrent pas la tâche. Une fumée noire continuait de s’échapper de la carcasse. Il ne restait plus grand-chose des portes de la soute à bagages. Il prit sa lampe et tenta d’en inspecter l’intérieur. Sa tête se mit à tourner lorsqu’il vit ce qu’il restait des valises, et parmi elles, une dont la forme lui semblait étrangement familière.

— Vous dîtes qu’il n’y a pas de victimes ?

— Affirmatif, capitaine.

— Alors pourquoi les soutes sont-elles pleines de bagages ?

— Je vous assure qu’il n’y a aucune trace de corps. Nous avons effectué les vérifications nécessaires. Le bus était vide au moment où l’incendie s’est déclaré.

Perney s’approcha de la valise qui l’avait perturbé et tenta difficilement de l’inspecter en chassant les flocons qui lui troublaient la vue. Il n’en restait pas grand-chose, mais il revoyait son fils la choisir quelques jours plus tôt dans une boutique à Annecy. Supporter invétéré de l’AS Saint-Étienne, il avait tout de suite craqué pour celle avec le logo de son équipe préférée. Guillaume avait voulu lui offrir ce cadeau pour son premier voyage seul.

Extrait 2

Sans succès, il sortit de la chambre et poursuivit son inspection dans le bureau. Même décoration épurée et aménagement harmonieux. Le bureau était parfaitement rangé. Rien ne dépassait, tout était à sa place dans les tiroirs ou sur la petite étagère. Toujours attentif à la moindre alerte, il stoppa ses mouvements alors qu’il lui sembla entendre un faible grincement de porte.

— Merde, son mari n’aurait pas déjà rappliqué, quand même ?

Il vit la lumière filtrer sous la porte du bureau. Il ouvrit légèrement la porte à la recherche d’un endroit où se dissimuler. Alors que des pas empruntaient les escaliers, il eut le temps de se précipiter dans le dressing. À travers l’entrebâillement, il reconnut Guillaume.

— Qu’est-ce qu’il fout là, lui ?

Il attendit quelques secondes. L’homme lui avait semblé s’être rendu dans la chambre. Toujours alerte au moindre bruit ou signe de mouvement et faisant preuve du plus de discrétion possible, il inspecta le dressing et son regard fut attiré par un amoncellement d’innombrables boîtes à chaussures parfaitement empilées et rangées, bien entendu. Il souleva le couvercle de celles disposées sur le dessus. Évidemment, il n’y trouva pas ce qui l’intéressait. Soudain, il entendit la porte de la chambre s’ouvrir et les pas de Guillaume craquer sur le parquet. Dans un sursaut, il fit tomber quelques boîtes. Les pas sur le palier stoppèrent. Liquéfié, il se fit le plus léger possible et se précipita derrière la penderie. Il comptait sur sa tenue noire pour l’aider à se dissimuler.

La porte du dressing s’ouvrit. Il entendit la voix du capitaine Perney.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

L’homme en noir retenait sa respiration. Il dut la retenir de longues secondes alors que Guillaume avait entrepris d’empiler les boîtes à chaussures qui s’étaient retrouvées sur le sol. Quand il quitta à nouveau le dressing, l’intrus réfréna l’envie d’émettre une longue inspiration.

Rassuré de ne pas avoir été repéré, il poursuivit ses recherches. Il mit finalement la main sur une boîte qui lui semblait un peu plus légère. En l’ouvrant, il y trouva ce qu’il était venu chercher, et même davantage. Il était loin d’imaginer trouver ce couteau dont on lui avait tant parlé. Il s’entendit jubiler.

— Cette salope de Vanessa avait même gardé ce couteau toutes ces années.

Il attendit de longues minutes. Plus de lumière dans la chambre. Guillaume était-il endormi ? Que faisait ce pervers tout seul dans cette chambre ? Il se décida finalement à quitter le dressing et se fit le plus léger possible dans les escaliers. Il déposa le petit collier de chien qu’il était venu chercher sur la table du salon, bien en évidence.

Après avoir fermé la porte de la maison de Vanessa, il se colla au mur et attendit à nouveau. Si Guillaume l’avait entendu, il serait à ce moment même en train de regarder par la fenêtre. Quand il jugea le délai écoulé suffisant, il rejoignit l’obscurité de la rue.

Il eut le temps de porter toutes les lettres et de rejoindre les enfants qu’ils retenaient prisonniers avant le lever du jour.

Il avait éprouvé un malin plaisir en glissant dans la boîte aux lettres de Vanessa le couteau qu’il venait de trouver. Il n’en revenait toujours pas qu’elle ait pu le garder toutes ces années. Son seul regret était de ne pas être en mesure de voir sa tête quand elle découvrirait sa petite surprise.

Extrait 3

Melvin pensait à Céline, sa mère, seule, dans leur appartement, elle devait mourir d’inquiétude. Ils avaient toujours eu une relation fusionnelle. Fils unique, son père était parti alors qu’il n’avait pas un an, sa mère n’avait jamais refait sa vie. Son fils était tout pour elle, et elle était tout pour son fils.

Penser à sa mère l’aidait quelque peu à oublier, ou tout du moins à atténuer les douleurs et les brûlures qu’il subissait depuis son réveil, quelques heures avant. Il ne savait plus très bien. Il avait perdu la notion du temps. De la petite fenêtre de la pièce où il était enfermé, il apercevait la neige tomber sans discontinuer.

Il essayait aussi d’oublier le froid qui lui perçait les os. On lui avait retiré son t-shirt, et il n’osait plus baisser la tête vers son torse mutilé par les nombreuses marques. Ce petit garçon au regard pétillant souvent dissimulé par ses cheveux bruns qu’il aimait laisser pousser longs avait l’impression d’être dissocié de son corps. En voyant son torse, il n’arrivait pas à assimiler le fait que c’était bien le sien, même si la douleur s’évertuait à le lui rappeler à chaque instant.

Il avait toujours été un garçon dégourdi, plein de ressources et d’imagination, mais le froid et la douleur s’étaient insinués dans son système nerveux et il restait des heures entières, paralysé dans le coin de cette pièce, à attendre.

Les cris des autres enfants ne le faisaient plus sursauter. Non. Ce qui le faisait sursauter et qui remplissait ses yeux de larmes étaient les pas lourds qui résonnaient dans le couloir. Il bloquait sa respiration en espérant que ceux-ci ne s’arrêteraient pas derrière sa porte. Cela serait synonyme d’une nouvelle salve de brûlures et d’insultes sur sa mère, sur les autres élèves, sur les autres parents. À la douleur physique s’ajoutait la torture psychologique. La dernière fois qu’ils étaient venus dans sa cellule, la femme lui avait agrippé les bras, assis sur la chaise au milieu de la pièce, et l’avait forcé à fixer l’homme qui agitait la lame d’un couteau sous la flamme d’un grand briquet. Alors que la lame s’approchait de son corps, il fermait les yeux, mais visualisait sans peine le parcours du couteau sur sa peau que la brûlure entamait.

— On aura bientôt le même tatouage mon p’tit gars. Tu pourras remercier ta maman.

La voix venait de derrière lui. C’était celle qui lui tenait les bras qui avait prononcé ces mots. Il ne comprenait pas ce qu’elle lui disait, trop concentré sur la douleur qu’il était en train de recevoir. Quand il avait reconnu ses deux bourreaux, la première fois qu’ils s’étaient rendus dans sa cellule peu de temps après qu’il avait repris connaissance, son cœur avait bondi dans sa poitrine. Comment était-ce possible ? Pourquoi faisaient-ils cela ?

Il ne savait pas combien de temps cette nouvelle séance avait duré. Il perdit connaissance avant qu’ils aient quitté la pièce. Quand il se réveilla, il sentit que son pantalon était froid et imbibé d’urine. Il alla se recroqueviller dans le coin de la pièce, plaça la tête entre ses bras, se mit en boule pour essayer de favoriser la circulation de la chaleur dans son corps. Il pensait à sa mère pour oublier.

Combien de temps allait-il s’écouler avant qu’ils reviennent ? En ouvrant les yeux, il remarqua que la lumière avait baissé. Il s’approcha de la fenêtre pour regarder vers l’extérieur. Il ne distinguait pas grand-chose avec cet épais rideau blanc qui l’empêchait de reconnaître le paysage qui l’entourait.

Il retourna se blottir dans le coin de la pièce et attendre qu’on vienne le torturer à nouveau.

Le froid et la douleur faisaient fonctionner son cerveau au ralenti. Ce ne fut qu’après de longues minutes que la colère de cette situation éclata en lui. Il ne pouvait plus rester ainsi à attendre qu’on vienne le torturer. Il devait au moins essayer de faire quelque chose. Mais quoi ? Il était épuisé et tous ses membres étaient à moitié paralysés par le froid.

Il entreprit de s’approcher de la chaise et l’inspecta. Ses doigts étaient engourdis. Il sentit derrière le dossier un petit clou qui dépassait. Il gratta, il tira, il s’en retourna un ongle, et senti le sang glisser dans le creux de sa main. C’était son seul espoir, s’il avait fallu s’arracher tous les ongles pour arriver à son objectif, il l’aurait fait sans hésiter. Sa détermination finit par payer. Le clou lâcha et tomba sur le sol. Il serra dans le creux de sa main son arme de fortune. Il attendrait le bruit des pas et serait prêt au bon moment.

 

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