Extrait n°1 :

Ces trois dernières années n’avaient pas été roses pour les trois occupants de cette maison. Chacun devait faire face à sa manière, s’en remettre était si difficile. Leur mère errait comme une âme en peine. Elle voulait juste ne plus penser, laisser son esprit dans le brouillard. Elle attendait un poste à plein temps en primaire ou au collège, peu importait. Elle s’en fichait, son affectation s’effectuerait sur Marseille, c’était son seul vœu. Retourner au travail l’aiderait. Depuis ce jour fatidique, où le bonheur s’était envolé et la lumière éteinte, elle ne souriait que très rarement et dormait très peu.

 

Erwan se voyait encore ce matin-là, prêt à partir pour sa journée au lycée, quand des coups frappés à la porte l’avaient stoppé dans son élan. C’est lui qui avait ouvert pour se retrouver face au colonel de la base, la mine fermée, le teint pâle. Tout en lui disait clairement qu’il aurait préféré se trouver ailleurs que sur leur paillasson.

— Bonjour mon garçon. Peut-on entrer ?

 

Ce n’est qu’à cet instant qu’il avait remarqué l’aumônier qui l’accompagnait. Il avait alors senti sa respiration se bloquer sèchement et son cœur chuter dans ses chaussures. Pas besoin de dessin, il savait parfaitement pourquoi ces deux hommes se trouvaient là aux aurores. Il avait pensé que si personne ne le disait à haute voix, peut-être que rien ne se passerait. De toutes ses forces, il avait serré ses poings espérant que son père passe à nouveau cette porte. Il souhaitait de tout son être que la réalité soit autre, mais ce ne fut pas le cas.

Combien de fois ces deux hommes avaient-ils dû se rendre sur la base, y faire cette annonce, comme chez eux aujourd’hui ?

— Tu dois être Erwan ?

— Ou, oui, avait-il répondu, déglutissant péniblement, les larmes noyant son regard et roulant sans honte sur ses joues blêmes.

 

— On doit voir ta mère et ton frère Gavin, avait continué l’aumônier tout en plaçant sa lourde main sur son épaule défaillante. Tu veux bien leur demander de venir, s’il te plaît ?

 

Ses jambes transformées en gelée l’avaient porté jusqu’à elle. Un regard à sa tête lui en avait appris beaucoup. La vue du duo lui apporta la confirmation de ce qu’elle craignait. Une main tremblante avait recouvert sa bouche, ses yeux s’étaient arrondis, les larmes avaient ruisselé laissant éclater toute sa douleur. Sa pâleur soudaine l’avait fait se ruer vers elle pour la soutenir avant qu’elle ne s’écroule, déchirée.

 

Leur père partait souvent en mission, même si aucun d’eux ne le montrait, tous restaient suspendus à son retour. Le plus dur était de ne jamais savoir où il se trouvait stationné. Dès qu’il en avait la possibilité, il leur faisait passer des messages sachant qu’il restait injoignable, sauf si le problème se révélait grave. Auquel cas, il passait par le bureau des familles puisque ses déploiements relevaient du Secret-Défense.

 

Erwan à la vue de ces deux hommes avait très vite compris que leur monde venait d’imploser. Plus rien ne serait jamais pareil. Ils devraient se faire au fait que leur père ne rentrerait plus jamais, il en fut terrassé.

 

Longtemps, il lui en avait voulu atrocement de les avoir abandonnés. La colère, la rage l’avaient envahi. Puis le temps passant, seule la douleur était restée, s’incrustant en profondeur.

 

Dans une sorte de brouillard, il avait entendu les mots terribles, disant que la section de leur père était tombée dans une embuscade. Au total, six hommes y avaient trouvé la mort, trois rentreraient blessés plus ou moins gravement. Le colonel s’en alla après avoir présenté ses condoléances et prévenu que les corps seraient rapatriés dans un délai assez court. Ils n’auraient à s’occuper de rien, l’armée prenant tout en charge. L’aumônier, lui, resta un certain temps, mais il avait encore cinq familles à voir. Le lendemain, une assistante sociale aida Ophélie à régler la paperasse, ça s’avéra cruel et difficile.

En un rien de temps, ils étaient passés de famille heureuse à famille totalement dévastée.

 

 

 

Extrait n°2 :

Erwan hébété n’entendit plus que la tonalité quand un bip annonça l’arrivée du SMS. Voyant l’adresse, il se prit la tête à deux mains. Il s’avéra qu’il la connaissait. C’était celle d’un club mal famé de ce quartier où même les flics ne rentraient pas. Le patron était un proxénète reconnu et il était soupçonné de permettre aux dealers de faire leurs petites affaires chez lui. Putain ! Il monta dans sa voiture envahie par une rage froide et se dirigea vers ce bouge pour récupérer Gavin. La circulation assez fluide lui permit de ne mettre que très peu de temps pour s’y rendre. Il allait tuer ce petit con qui commençait à vraiment le faire chier avec son besoin constant de surenchérir. Cet endroit s’avéra être un vrai coupe-gorge mal éclairé. Il ne trouva personne à l’entrée, ce qui en soi n’était pas surprenant. Une fois habitués, ses yeux remarquèrent le bar. Plusieurs hommes s’y tenaient. Erwan trouva le lieu sinistre et glauque à souhait. On trouvait ici la lie de la société. Son frère n’était pas au bar ni à aucune des tables. Son regard se figea quand il revint sur la scène en pleine lumière. Ce qu’il vit lui donna envie de vomir. Il voulait fuir loin de ce cauchemar, ses rétines le brûlaient. Il priait tous les saints connus pour que ce soit une erreur. Son frère, entièrement à poil, allongé sur une fille au sol, un gars baraqué lui martelait le cul à grand renfort de grognements. Un autre mec devant lui pistonnait sa bouche avec son sexe long et dur. Tout ce joli monde n’utilisait pas de préservatif. Son cerveau beugua, resta figé. Ses pieds pesaient autant que du plomb, l’estomac au bord des lèvres. Les deux hommes se déchargèrent dans les orifices de son frère qui éjacula à son tour dans la fille qui n’eut aucune réaction au point qu’il l’a cru sans vie. Il allait se réveiller et ce cauchemar allait disparaître. Ce qu’il voyait n’existait pas, il évoluait dans une autre dimension. Absolument impossible que tout cela soit réel.

Soudain, Gavin tourna la tête et son regard fixa un point dans la salle. Il pensa qu’il le regardait, mais déchanta très vite. Ses yeux vides aux pupilles dilatées ne se posaient que sur le néant, son corps luisant de sueur, parcouru de frissons. Il pensait tuer le balaise derrière lui quand il le vit s’effondrer sur le dos de Gavin le caressant et lui évitant de tomber. Le gars l’aperçut et sourit sans cesser ses va-et-vient le long du torse glabre de son frère, jusqu’à son sexe encore en érection, lui tirant des gémissements qu’il aurait voulu ne pas entendre. Pas besoin de dessin pour comprendre que Gavin planait, perché si haut que rien ne le touchait.

Balaise se releva pendant qu’un autre se préparait. Erwan pensa « arrêtez ce massacre ».

— T’es intéressé mec ? Demanda Balaise. Ce p’tit cul est à tomber. Depuis deux heures, il se fait prendre dans tous les sens et il en veut encore. C’est cinquante euros la passe, mais tu dois attendre, sauf si tu mets plus sur la table.

Erwan sortit de sa transe, il avait des envies de meurtres contre ces mecs immondes.

— Ce p’tit cul, dit-il glacial, c’est celui de mon frère, gros con ! hurla-t-il.

— Deux frangins, ça peut être sympa, on multiplie le prix de la passe par deux. Lui m’a déjà rapporté pas mal de pognon.

— Tant mieux pour toi, parce que le jeu finit là ! dit-il une lueur assassine dans le regard. Et toi, espèce d’abruti, tu joues à quoi ? demanda-t-il à son frère.

— Ça s’voit pas ? Je m’fais défoncer le fion, dit-il, hilare. Pourquoi t’es là ?

— J’en ai ras le pompon de ta gueule. Tu viens avec moi ! Tu arrêtes les conneries quand ? Bordel ! T’es chargé à quoi ?

— Fous-moi la paix !

— Hé mec, il semble pas d’accord pour te suivre alors dégage ! Je perds du fric moi. Et lui, c’est sa façon de payer sa dette. Il est majeur après tout alors fout le camp.

Sans le savoir, ce fumier prétentieux lui fournit une marge de manœuvre inespérée. Il refusait de se battre dans ce trou à rats, leur altercation ayant attiré autour d’eux une foule bigarrée, au risque de se trouver piégé.

— Il t’a raconté des conneries parce qu’il vient d’avoir dix-sept ans et moi je suis flic. Mon collègue va en avoir marre de poireauter dehors. Alors tu nous laisses sortir tranquillement et il n’y aura pas de lézard.

Plongé dans les vapeurs de l’alcool et de la drogue, Gavin tenta de l’ouvrir. Il allait tout foutre par terre. Fendant l’air, un coup de poing vola directement dans son estomac, le pliant en deux et l’empêchant de parler. En deux temps, trois mouvements, Erwan le balança par-dessus son épaule comme un vulgaire sac. Ces dégénérés n’avaient pas besoin de savoir qu’il allait avoir vingt ans dans quelques jours. Ils devaient absolument se tirer de là. Les conneries de Gavin duraient depuis si longtemps qu’Erwan se demandait s’ils en verraient la fin un jour. Dans ces moments-là, son père lui manquait terriblement et sa foi avait pris la poudre d’escampette. Rapidement, il vit Balaise tiquer et le cercle de curieux se désagrégea aussi vite qu’un sucre dans une tasse de café.

— Dix-sept ans ? hurla-t-il. Et t’es un putain de flic ? Bordel ! J’aurais dû buter cette petite salope.

 

 

 

Extrait n°3 :

Pendant une bonne partie de la soirée, on leur demanda des jus de fruits et de l’eau en majorité. Un des gars lui tendit une gamelle et réclama de l’eau. Il retourna s’asseoir en la posant au sol près du gamin installé à ses pieds qui se pencha et se mit à laper l’eau. Erwan jeta un regard ébahi à Abi. Nom d’une pipe ! Pourquoi acceptait-il ça ?

Le temps fila, d’autres actions les dérangèrent. Tout le monde bien occupé, Erwan et Abi se trouvèrent un peu désœuvrés. Tous les box étaient pris et au milieu des halètements et des gémissements résonnaient les coups de cravaches et de fouets. Tout ce petit monde paraissait consentant, l’ambiance était chaude au point qu’Erwan se trouvait un peu à l’étroit dans son pantalon. La croix de Saint-André servait régulièrement et ses yeux se fixèrent sur le gars qui se faisait fouetter, sa chair zébrée de marques rouges. Il avait les yeux vitreux comme dans un autre monde et son sexe se dressait fièrement, dégoulinant.

Soudain, un Krupper, chemise ouverte sur un torse musclé, les cheveux un rien ébouriffés, un micro en main braya, faisant sursauter tout le monde.

— Messieurs, dit-il tapant sur le micro provoquant un bruit strident. Messieurs, désolé de vous tirer de cette bienheureuse luxure, mais c’est l’heure des enchères. Je vais donc vous demander de récupérer vos soumis et de les installer à leur place. Comme vous en avez déjà l’habitude, vos demandes font l’objet d’une compétition avec nos enchérisseurs internet, pour la location ou l’achat d’un esclave sexuel. Nos enchères ce soir sont exceptionnelles. Nous débuterons à mille euros la location et deux mille cinq cents euros pour l’achat. Relever bien le numéro sur le torse de chaque candidat.

Abi désemparée regarda Erwan. Leur enquête, à leur plus grand désarroi, venait de faire un bond en avant inattendu. Des enchères ?

Thomas très à l’aise poussait devant lui dix superbes jeunes hommes effrayés et nus, les mains liées dans le dos, la bouche fermée par un bâillon boule, laissant la salive couler sur leur menton.

Dégoûtés, interloqués, Erwan et Abi serraient leurs poings très forts ne pouvant intervenir. Une envie terrible de vomir leur souleva l’estomac. L’érection d’Erwan tomba rapidement, difficile de rester stoïque devant un spectacle aussi lamentable. Krupper en maître de cérémonie installa chaque gamin sur des sortes de podiums que ni lui ni Abi n’avaient remarqué. La salle plongea dans une semi-obscurité et un halo de lumière éclaira chacun d’eux. Ils entendirent à nouveau la voix de cet enfoiré.

— Nos esclaves sont certifiés sains, bien préparés par notre Thomas. Interdiction de leur ôter les bâillons, sauf si vous devez leur remplir la bouche, dit-il goguenard. Thomas va passer dans quinze minutes récupérer vos enchères avec vos noms de scène sur l’enveloppe. Si vous avez la chance de devenir propriétaire d’une de ces petites putes, elle vous sera livrée avec certains jouets. On a pensé à en décorer quelques-uns, continua-t-il retournant le troisième de la file, permettant de voir qu’un plug lui avait été enfoncé dans l’anus. Le suivant et deux autres avaient des pinces à tétons, sur lesquelles Krupper se faisait une joie de tirer, les faisant grogner.

Erwan frissonna devant ce cirque dégueulasse. Mais ce qui le gênait avec ces gosses c’était leur comportement. Traversée par la même idée, Abi demanda le corps raidi :

— Crois-tu qu’ils soient là de leur plein gré ?

— Sans me tromper, je peux te dire que non, regarde leurs yeux !

— Leurs pupilles sont totalement dilatées. Putains de merde, ils sont drogués !

— Aucun doute. J’ai vu ça chez mon frangin.

— C’est purement et simplement des viols, gronda-t-elle

Les enchères ressemblèrent à une foire d’empoigne et furent gagnées par ceux du club, tous achetés, aucun loué. Tous étaient tellement excités qu’ils avaient ôté leurs cagoules. Le dernier DOM qui se leva se retourna vers le bar. Erwan ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes. Il connaissait ce mec, il s’appelait Landry et ils avaient bossé ensemble sur d’autres enquêtes. Qu’est-ce qu’il foutait là ? Il eut soudain des sueurs froides.

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