Extrait 1
Les gens s’attroupent, les gendarmes s’échinent à repousser ces curieux avides de sensationnel. Ils ont du mal à les tenir à distance respectable, la tension monte.
L’adjudant-chef de la brigade fluviale, s’adresse au lieutenant :
— Marcillac, je te fais signe dès que la première phase est terminée. Mais putain envoie-moi ces curieux au diable ! Que l’on ait la possibilité de manœuvrer sans les avoir sur le dos, ils sont chiants !
— T’occupe, je fais le nécessaire, à toute à l’heure. Et bonne pêche ! ajoute-t-il en souriant.
— Petit malin, t’as raison c’est du gros !
Le Zodiac muni de puissants moteurs avance prudemment sur les eaux de faible profondeur, puis fait un bond dans un vrombissement assourdissant en laissant derrière lui une trace écumante.
Le gradé en charge de la brigade nautique, arrivé sur le lieu, constate que l‘homme est totalement dénudé. Une corde est attachée à sa cheville. Le bateau frôle le mort et stoppe à hauteur de la tête. Le corps se met à bouger, à onduler, les vaguelettes semblent lui redonner vie.
Deux des plongeurs présents à bord se mettent à l’eau tandis qu’un autre et le chef préparent le sac mortuaire, une enveloppe pratiquement stérile, protégeant les éventuels indices exploitables du corps.
— Vous êtes prêts, les gars ?
— Oui, adjudant-chef !
— Bon, on va le pousser, à vous de le hisser dans le zodiac.
— OK, allons-y !
— Putain, qu’il est lourd !
Le corps est disposé dans l’enveloppe et la fermeture Éclair remontée.
— Maintenant que nous avons le gus, vous me sondez les fonds. Nous retournons à terre pour y déposer le macchabée et on revient vous prêter main-forte. À toute à l’heure. Je vous mets la bouée avec le lest comme repère.
Sans plus attendre, le bateau reprend la direction de la rive.
Le capitaine Bonnefoy vient de rejoindre Marcillac qui est en compagnie du toubib.
— Alors, cette pêche ?
— Un corps sans papiers, la quarantaine à peu près, de curieuses marques de strangulation et ces traces des coups de poignard, cinq au total. Pourquoi cinq ? Étrange. Il devait avoir de la rancœur, le gars.
Le légiste resté en recul, souhaite effectuer ses premières constatations.
— Vous m’ouvrez le sac, je tiens juste à jeter un œil. Ne vous faites pas d’illusions dans l’immédiat, votre bonhomme a séjourné dans l’eau un laps de temps indéfini, donc avant d’émettre un avis et des résultats, il vous faudra un peu de patience et attendre mes conclusions après l’autopsie.
— Encore combien de temps à attendre avant d’avancer ? s’enquit Marcillac.
— Désolé, mon vieux, mais le temps nécessaire et suffisant pour que j’évite une connerie.
Après une rapide ouverture de ce cocon protecteur le toubib observe les membres, retourne le corps et demande que le défunt soit amené au centre médico-légal. Il n’en dira pas plus aujourd’hui. Les officiers un peu déçus par sa réaction devront attendre patiemment ses conclusions et continuer les investigations sur le site.

Extrait 2
Le lieutenant Marcillac, se rend à Montpellier, dans sa voiture de fonction. Il rejoint son capitaine au groupement de gendarmerie. Le doc les a convoqués, pour faire le point sur les premières autopsies.
Ils viennent de recevoir, en simultané, une information émanant du légiste qui souhaite les rencontrer au centre médico-légal situé au CHU Lapeyronie.
Tous deux sont en effervescence et pressés de voir ce dont il en retourne. Ce serait top que la chose soit déterminante pour les suites de l’enquête.
Surnommé Monsieur « Henri », toubib ou plutôt le doc, suivant l’humeur du moment, il patiente dans son bureau, fébrile et désireux de leur annoncer la surprenante découverte. Il se lève en apercevant le capitaine Bonnefoy dans l’ouverture de la porte de son bureau.
— Hello les touristes ! lance-t-il aux arrivants.
— Bonjour cher doc, à peine sommes-nous arrivés, que tu nous charries.
— Je peux me le permettre, j’ai de quoi vous mettre l’eau à la bouche.
— Vas-y épates nous, on n’attend que cela.
— Bon, suivez-moi.
Ils parcourent un dédale de couloirs austères et froids, éclairés par des néons blafards. L’endroit mène à ces pièces tristement connues, la salle d’autopsie et les chambres froides. Il faut reconnaître que ces centres médico-judiciaires et médico-légales ne se prêtent guère à de plaisants fantasmes. Á l’entrée de la pièce, le légiste s’arrête et se retourne :
— J’espère que vous serez à la hauteur de ce que je vais vous montrer. Ce n’est pas joli, joli. Je préfère vous avertir que les salauds ont emmené ces pauvres filles dans l’horreur absolue. Drôle de sort qui leur a été réservé.
Bonnefoy et Marcillac se regardent interrogatifs.
— On verra ! Entrons dans le vif du sujet, si je puis m’exprimer ainsi, rétorque Marcillac.
— Á retenir mon cher lieutenant ! Vous avez de la repartie. Maintenant, voyons si ce que je vais vous faire découvrir ne va pas vous refroidir.
Tous trois pénètrent dans cette antichambre funéraire. Un local dont les murs sont recouverts de faïence blanche, zébrés en diagonal par des carreaux marrons. En son centre une table repose sur un sol carrelé, des grilles d’évacuation pour le lavage et la désinfection. La zone d’autopsie est éclairée par une lampe opératoire. Au fond se trouve un meuble de rangement, sur lequel trônent une balance et divers instruments à l’aspect peu ragoûtant. Le doc demande qu’on lui amène un des corps du lac.
La tension monte, le capitaine et Marcillac sont doublement impatients, d’une part de connaître les résultats des analyses effectuées par le légiste d’autre part de quitter ce lieu sinistre et glacial où règnent une odeur de mort et un froid qui s’infiltre dans tout l’organisme.
Bonnefoy, peu à l’aise dans ce contexte morbide se demande comment le doc peut passer une partie de la journée, une partie de sa vie, dans une telle ambiance sans déprimer.
Une forme recouverte d’un drap mortuaire, vient d’être amenée sur un brancard métallique. Lugubre moment. Seuls deux pieds bleuis sont visibles.
— Vous êtes prêts, les jeunots ?
— Il le faut, je suppose ! réplique le lieutenant.
— Le toubib enlève le linceul. La peau devenue verdâtre est recousue de toutes parts. Le doc avait raison. C’est impressionnant et glauque à la fois. Un frisson parcourt Bonnefoy.
— Toujours pas de nausée, les filles ? Ne vous affolez pas de la lividité posthume, elle ne s’est pas encore maquillée pour sortir.
— Très drôle, Môssieur Henry.
— Sérieusement, je vous explique : vous devez vous apercevoir que cette jeune femme a été ouverte du pubis à la gorge.
Bonnefoy, intrigué, coupe le doc dans son élan :
— D’après ce que tu m’as annoncé au téléphone, la fille a été éviscérée. Mais pourquoi une autopsie abdominale aussi basse et surtout en travers ?

Extrait 3
Brigitte Armont demeure volontairement sourde aux appels d’identification. Elle doit rester concentrée et peaufiner son plan. Prendre de l’altitude et engager son « système Cessna NAV III », autrement dit : elle va se mettre en pilotage automatique et aura ainsi les mains libres pour préparer son saut. Pour enclencher son pilote automatique, elle doit l’aligner sur son GPS, manœuvre qu’elle réalise aisément par habitude. Elle déboucle sa ceinture et prend à l’arrière un des deux parachutes dont l’avion est équipé. Brigitte ajuste ce dernier et va procéder à l’ouverture de la porte.
Elle est traversée par une soudaine envie de savoir, de déchirer ce voile de l’incertitude. Que transporte-t-elle véritablement ? Elle va enfin pouvoir accéder à la résolution de toutes ses interrogations qui souvent lui ont fait passer des nuits blanches. Mais s’est-elle trompée ? Il lui faut répondre à cette dernière énigme avant que l’avion ne soit détruit.
Elle se glisse délicatement à l’arrière et tente d’ouvrir cette « saleté de frigo » comme elle le nomme.
— Et cette putain de serrure qui ne veut rien savoir !
La fermeture résiste.
— Eh, merde ! Sésame, ouvre-toi !
Ça la fait sourire.
— Heureusement que Pierre n’est pas là, il me prendrait pour une folle.
Brigitte doit faire au plus vite.
— Qu’est-ce que l’on a dans ce zinc qui pourrait m’aider ? Pierre, au secours, apporte-moi une solution !
Soudain, elle se souvient que Pierre a équipé l’avion d’une sacoche contenant le matériel obligatoire de survie.
— Merci, mon Pierre d’avoir tout prévu !
Tout en douceur pour ne pas déstabiliser l’appareil, elle trouve de quoi satisfaire sa curiosité.
— Un pointeau de sécurité automatique, voilà qui va m’aider ! Qu’est-ce que tu en penses mon Pierre ? Il est temps que j’arrête ma causette, j’ai l’impression de devenir cinglée.
Elle se saisit de l’outil et commence à taper, à tripatouiller la fermeture de ladite glacière. Ce n’est qu’au bout de plusieurs minutes d’acharnement qu’elle vient à céder.
— Ça y est, je l’ai eue ! T’as voulu jouer avec Brigitte, serrure maudite, dis-toi que tu n’es pas la plus forte, non mais !
Brigitte savoure sa victoire et pousse un soupir de soulagement. Elle lève délicatement le couvercle : rien, si ce n’est qu’un simple carton disposé à l’envers, emballage qu’elle soulève. Elle est ébahie par ce qu’elle vient de découvrir, sa vie continue de déraper. Elle ne pensait pas l’enfer si proche d’elle. Les battements de son cœur se sont accélérés, son sang se glace, ses mains deviennent moites : quant à sa gorge, elle se noue d’effroi. Elle se pince le dessus de la main comme pour se réveiller d’un cauchemar. Non, elle ne rêve pas.
Les salauds !

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