Extrait 1

Il mesure dans les un mètre soixante-dix, en prenant en compte la hauteur du comptoir. Sa bedaine, qui déborde sur sa ceinture et ses valoches sans poignée, ainsi que le teint de son visage mêlé de nuances rouges et jaunes, indiquent son goût pour la bonne chère et une cirrhose au chantier en cours plutôt bien avancé.

Il m’invite à consommer.

— Bonjour, qu’est-ce qu’il prendra ?

— Il prendra un verre de Sancerre et quelques renseignements.

Il me regarde d’un air méfiant.

— Rouge ou blanc, le Sancerre ? Vous êtes ?

— Rouge. Je m’appelle Lambert, je viens de la part d’Antoine. Vous devez être Dédé ?

Vous noterez que je me suis abstenu de mentionner son surnom, qu’un des types enivrés au comptoir qui m’a entendu ne se prive pas de valoriser avec grandiloquence.

— Ouais ! C’est Dédé la Branlette ! Hein Dédé ?

Les trois guignols éclatent de rire sous le regard meurtrier dudit Dédé qui se retourne et vient caler sa trogne sous leurs visages rougeauds. Il attrape la boutanche de blanc à peine entamée posée devant les avinés, et la range sous le comptoir. Il enchaîne en s’adressant à eux avec un large sourire et un regard tellement glacial qu’il frise le zéro absolu.

— Très bien les gars, je vous ai assez rincés. Maintenant, si vous voulez voir le fond de ma bouteille de Quincy et faire connaissance avec sa petite sœur, il va falloir afficher vos morlingues et aligner la mornifle.

Les trois habitués le regardent avec des expressions d’enfants pris en pleine tricherie pendant un contrôle d’histoire. Ils lui parlent tour à tour sur un ton qui mêle le regret et la supplication, tellement l’idée d’être sevrés aussi brutalement leur paraît insupportable.

— Te fâche pas Dédé, je voulais pas te vexer !

— C’est vrai Dédé, tu sais qu’on te respecte, fais pas ta vache !

— Excuse-nous Dédé, on a été cons, mais on pensait pas à mal. C’était juste pour rigoler !

Ils ont de la chance, Dédé a un bon fond. Il ressort la quille de blanc, leur ressert une tournée et pose le flacon sur le zinc.

 

 

Extrait 2

Je me tourne, en effet elle est là. Pour la première fois, je la vois de près. Elle apparaît toujours sous les traits d’Irina Relda, mais la tête nue et les cheveux libres cette fois. Elle est vêtue aujourd’hui d’un imper noir et court, d’un jean bleu marine, et de baskets blanches aux semelles fines. Elle ne porte aucun parfum, ce qui est peu commun chez une femme de sa classe. Elle veut sans doute peut-être n’ajouter aucun élément personnel, voire intime, à son personnage qui pourrait la trahir sous une autre apparence.

Elle arbore toujours ce sourire avec ses yeux brillants et le visage lumineux qui marquent son amusement et elle s’adresse à moi sans son accent tchèque.

— C’est un plaisir de vous revoir, cher Monsieur Lambert. Je me doutais que vous prendriez de l’avance sur l’heure de notre rendez-vous. Ce n’est pas plus mal, nous allons pouvoir faire un peu mieux connaissance.

— Allez-vous enfin me dire ce que vous attendez de moi ?

— Ne soyez pas impatient, vous le saurez dans une vingtaine de minutes. Expliquez-moi plutôt pourquoi vous êtes venu, et ne me dites pas que c’est par peur de mes représailles parce que je ne vous croirai pas. Vous auriez pu vouloir me tendre un piège avec vos amis de la police, par contre.

— Vous devriez pourtant le savoir puisque vous dites connaître le caractère des gens.

— Je me suis mal exprimée.

Je la fixe du regard. Elle continue, toujours en souriant.

— J’ai pris mes renseignements sur vous, je limite la place du hasard dans mon activité. Alors, pourquoi ?

— D’abord parce que j’ai pris un engagement, même si j’y ai été contraint, et je vais m’y tenir.

— Vous aviez le choix, c’est une question morale qui s’est posée à vous, rien de plus. Ensuite ?

— Par curiosité, je l’avoue. Quand je suis embarqué dans une histoire, j’aime bien aller au bout, c’est dans ma nature.

— J’adore ! Rien d’autre ?

— Si. Je ne manquerai pas de vous rendre la monnaie de votre pièce à la moindre occasion, tout en tenant mon engagement, bien sûr.

— Excellent ! Nous devrions avoir un enfant ensemble. Entre nos différences et nos points communs, ce serait sans aucun doute un être exceptionnel !

— Vous êtes cinglée !

Elle n’en prend pas ombrage, au contraire, cela l’amuse toujours plus. Elle rit puis me répond.

— Je m’amuse dans ce monde, la vie y est tellement triste. Je ne fais que tromper mon ennui, un peu comme vous d’ailleurs. C’est vrai, admettez-le. Vous pourriez être au chaud à travailler dans un bureau, mais non, vous êtes là avec moi sans savoir pourquoi j’ai besoin de vous.

 

 

Extrait 3

Il la regarde avec des yeux écarquillés.

J’interviens à mon tour, même si je ne sais absolument pas où elle veut en venir.

— Tu as bien entendu Madame, elle a dit : à poil !

Il hésite un instant puis commence à se désaper en filant un coup de coude à son sbire pour lui intimer de faire de même. Une fois la chose faite, Tapine interroge de nouveau Irina.

— Et maintenant ?

— Vous faites la même chose avec votre comparse, puis vous l’installez sur le sofa, et vous vous asseyez de part et d’autre.

Furieux, les Russkofs s’exécutent sans dire un mot. J’ignore quel est le but d’Irina, mais j’espère qu’elle est sûre de ce qu’elle fait, parce que là, elle est en train de les pousser à bout en les humiliant de la sorte.

Une fois que nos adversaires sont installés sur le sofa, elle leur donne une dernière consigne.

— Bien, maintenant passez tous les deux votre bras autour du cou de votre camarade et ne bougez plus.

Ils obéissent. Elle sort alors son smartphone et les photographie plusieurs fois. Lev Tapine fulmine.

— Vous êtes complètement folle !

— Et vous, vous êtes hors jeu ! Si jamais il vous prenait l’envie de vous en prendre à mon ami ou à moi-même, sachez que ces photos parviendront automatiquement jusqu’à vos chefs. Je vous laisse imaginer la suite qu’ils y donneraient. Et maintenant fermez-la, je ne veux plus vous entendre !

Lev Tapine serre les dents et ne dit plus un mot. Il a compris qu’il a perdu la partie. Irina passe son calibre dans sa main gauche et plonge sa dextre dans son sac à main. Elle en sort une poignée de serflex et me les tend.

— Vous voulez bien les attacher ?

— Avec plaisir !

Elle continue à les menacer de son arme pendant que je leur attache tour à tour les chevilles et les poignets, en commençant par Tapine et en terminant par le type encore inconscient.

Depuis mon entrée dans la cour, tout s’est passé à une vitesse vertigineuse.

Une fois les trois gus ligotés, Irina me désigne Jean Aihunebigue.

— Maintenant, nous allons nous occuper de notre ami.

Ce dernier, qui recouvre ses esprits, nous regarde avec un air effrayé.

— Qu’allez-vous me faire ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

— Tu le sais très bien crétin, tu m’as volée !

— Mais non ! Je ne comprends pas, c’est avec Monsieur Rak que vous êtes en affaires !

Je me permets d’intervenir à nouveau. J’y vais au bluff. Vu le niveau de courage du personnage, ça devrait aller vite. Je défais ma ceinture et je l’enroule autour de ma main, la boucle bloquée sur le dessus. Je me tourne vers Irina.

— Je suis désolé, j’ai oublié de prendre mon poing américain.

— Faites en sorte qu’il ne s’évanouisse pas, j’ai besoin qu’il parle.

— Ne vous en faites pas, je vais le travailler à la caresse, lui administrer une petite tisane, juste histoire de le détendre !

Je me penche, je chope le type par le col et je le relève. Il est livide, son regard exprime sa terreur et un liquide commence à mouiller son pantalon. Il vient de se faire dessus.

— Alors Pépère, tu causes ?

L’Humide ne se fait pas prier.

 

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