Extrait 1

— Allez, viens on rentre ! Ils veulent faire un jeu.

C’est le genre de situation qui le met particulièrement mal à l’aise. Parler de lui à des gens qu’il connaît à peine ! Il se prépare à passer un moment particulièrement difficile en voyant la bouteille au milieu de la petite table.

Ce soir, la chance est pourtant avec lui et la bouteille ne semble pas décidée à s’arrêter à son niveau. Il déguste sa bière pour se donner une contenance tout en priant pour que le sort lui reste favorable. Il assiste indifférent aux défis donnés à l’un et à l’autre et n’écoute que d’une oreille les réponses aux questions posées. Il n’a d’yeux que pour Arthur. Et pour l’instant, il reste lui aussi épargné par cette bouteille infernale.

Le volume sonore augmente, les verres se vident et se remplissent et les défis proposés sont de plus en plus osés. Jérémy ne comprend pas ce qui lui arrive quand Sophie se lève en gloussant, vient s’asseoir sur ses genoux et lui colle la bouche contre la sienne. Sa peau blanche devient écarlate en un instant sous les regards hilares des invités. Arthur lui fait un clin d’œil et lui susurre à l’oreille :

— Sacré veinard !

Jérémy s’excuse. Il a chaud. Il veut prendre l’air et fumer une clope.

Sur le balcon, il voudrait sauter. Partir loin, s’échapper à tout prix et ne surtout pas revenir dans ce studio. Ne pas subir une nouvelle humiliation, décuplée par le regard de son meilleur ami. Alors qu’il est sur le point d’allumer une troisième cigarette, Arthur entrouvre la porte, le tire par la manche, et lui somme de revenir prendre part au jeu.

Les secondes s’égrènent comme de longues heures. Il fixe la bouteille et sent des perles de sueur couler sur son front. Les défis donnés aux uns et aux autres sont de plus en plus dégoûtants. Il essaie de s’échapper mentalement et se sert un alcool plus fort. Un peu de jus de pomme, beaucoup de vodka. Il se concentre sur la musique. La tête lui tourne. Il a l’impression de flotter quelque part au-dessus de la pièce. La main d’Arthur sur son épaule le fait redescendre.

— Désolé mon pote, c’est le jeu.

Jérémy voit son visage approcher du sien. Il ne dissimule pas son incompréhension.

— T’as qu’à fermer les yeux et imaginer que c’est Sophie !

Alors que ses lèvres s’approchent des siennes, il ressent une vive chaleur. Ça ne brûle pas, c’est agréable, c’est réconfortant. Lorsqu’elles entrent en contact, le temps s’arrête. Il n’a jamais rien goûté d’aussi bon. Il garde les yeux grands ouverts et les plonge dans ceux de son ami.

— Allô, Jérèm ?

L’assistance éclate de rire. Le jeune garçon n’a pas le temps de répondre que Sophie enchaîne.

— Désolé de te sortir de ton rêve, mais tu peux me dépanner d’une clope ?

Il ne répond pas et se contente de lui tendre le paquet. En tournant la tête vers Arthur, il lui semble voir ses joues s’empourprer.

 

Extrait 2

L’étudiant bouillonne. Tu m’étonnes qu’il a besoin de fric. Plus que jamais. Après ce qui s’est passé la veille, il est plus déterminé que jamais à plumer le Huber.

Il s’éclipse du cours et se rend au dernier étage rempli d’un mélange de colère, de frustration et de dégoût en anticipation de ce qui l’attend. À cette heure-ci, le couloir est désert, et le professeur a son bureau dans un recoin isolé. Pas étonnant qu’il en profite pour lui donner rendez-vous là, à l’abri des regards et des oreilles indiscrets.

Pas besoin de frapper, l’homme l’attend derrière la porte. Il la referme et la verrouille à peine l’étudiant entré dans la petite pièce exiguë.

Les papiers et cartons débordant de livres, mémoires et thèses l’encombrent. Le jeune homme tente de se frayer un chemin tant bien que mal. Quand il s’assoit, il remarque le regard plus vicieux qu’à l’accoutumée de Huber et s’en étonne. C’est quand il baisse la tête en direction des photos posées devant lui qu’il comprend et que sa colère éclate.

On le voit en compagnie d’hommes plus âgés. Certains clichés pris à travers des fenêtres ne laissent pas de doutes sur la nature des relations qu’il entretient avec ses clients.

Ce salaud a pris des photos à son insu et c’est lui qui veut le faire chanter maintenant ! Histoire d’en rajouter et d’augmenter la pression, il remet sur le tapis leur petit arrangement pour ses notes et menace de tout avouer si l’étudiant ne crache pas au bassinet. Il sait qu’il risque de perdre son année et d’être définitivement exclu de l’université. C’en est trop pour Arthur dont la fureur qui sommeille en lui depuis la veille n’attendait qu’un élément déclencheur pour s’emparer de lui.

Les digues se brisent et la rage se met à déferler dans ses veines. Le prof n’a pas le temps de savourer sa victoire que les mains du jeune homme lui enserrent la gorge et lui compriment la trachée. Il n’a pas la possibilité de crier que son visage se comprime déjà de douleur et s’empourpre jusqu’au violet écarlate. Arthur n’a pas la notion du temps. La scène se déroule sous ses yeux comme s’il n’en était que simple spectateur.

Il agit sans penser. L’adrénaline prend le dessus et le contrôle de son corps. Il trouve une rallonge électrique qui traîne, l’enroule autour de la gorge de l’homme déjà mort et maquille la scène du mieux qu’il peut.

Avant de quitter le bureau, il veut son dû. C’est pour la thune qu’il est venu et il ne veut pas se résoudre à partir les mains vides. Mais les poches du prof sont vides. La seule chose qui semble avoir de la valeur est autour de son poignet.

Sans prendre le temps de réfléchir, il s’empare de la montre et se la passe au poignet. Comme un pied de nez à la perversité du professeur, il veut exhiber sa victoire. À aucun moment, il ne se dit que cela pourrait signer sa perte et attirer des soupçons.

Ce n’est que le lendemain, au cinéma, quand Jérémy la remarquera qu’il se rendra compte de sa bêtise et se souviendra de l’irréparable qu’il vient de commettre dans l’aile L4 déserte de l’université.

Jérémy est beaucoup trop fragile. Il doit tout faire pour le protéger et l’empêcher de savoir.

 

 

Extrait 3

La lettre qu’il trouve sur son paillasson lui confirme ses soupçons. C’est curieux comme l’esprit humain est capable de mettre le doigt sur les choses au bon moment. Comme si son instinct avait senti Aaron rôder dans les alentours de son immeuble au moment précis où il cherchait à identifier l’auteur de ses courriers haineux.

L’enveloppe est blanche. Seul son prénom est indiqué en lettres capitales en son milieu. Il la décachette, et en sort une simple feuille vierge hormis l’inscription, toujours en lettre capitale :

Je vais briser ton couple à mon tour.

Étrangement, cette menace le fait d’abord sourire. Quel couple ? Il semble que le corbeau soit mieux informé que lui-même sur la nature de sa relation avec le jeune asiatique.

Cela finit par le faire frissonner. On le surveille.

Après l’amusement et l’inquiétude, c’est la colère qui le submerge. Il repense au sale coup que lui a fait subir Aaron trois ans auparavant. Il était amoureux et fou de désir pour lui. Quand il a appris son mensonge et reçu le message de sa copine, c’était plus qu’une douche froide. Il aurait pu certes l’ignorer, mais une force invisible lui a dicté sa réponse. Marie n’avait pas répondu. Il n’avait plus eu aucune nouvelle de son ami.

Jusqu’à récemment.

Pourquoi avait-il attendu ? Le doute s’empare de lui. Il doit essayer de le retrouver. S’assurer que c’est bien lui son harceleur et avoir une explication. Mettre les choses au clair.

Son numéro figure toujours dans ses contacts.

Il appelle et tombe immédiatement sur le répondeur de l’opérateur l’informant que la ligne n’est plus en service. Il essaie de joindre le numéro à l’origine des SMS haineux. Même résultat.

Il repense au message de Marie et essaie de retrouver son numéro. En vain, il l’avait effacé rapidement.

Il se creuse les méninges à la recherche d’une connaissance commune qu’ils auraient gardée. C’est peine perdue.

Il n’a pas plus de chance du côté des réseaux sociaux. Il n’a pas d’autre choix que d’attendre qu’Aaron se manifeste d’une façon ou d’une autre.

La sonnerie de l’interphone le fait sursauter. Son chien, qui dormait jusque-là paisiblement sur le canapé, se lève d’un bond. Il a toujours été admiratif sur la capacité des canidés à passer du sommeil au plein éveil en un éclair. Une qualité qu’il aimerait posséder lui dont il faut de longues minutes pour émerger le matin. Il décroche l’appareil et entend la voix posée d’An, en avance, comme à son habitude.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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