Extrait n°1

— Mon gamin, il a disparu, on sait pas où il est !

Il regarda vers les bureaux qui se trouvaient à l’intérieur.

— Il est pas là le chef ? demanda-t-il en haussant le ton.

Mangin leva la main, appelant au calme et prit la parole, lui aussi en élevant la voix.

— D’abord, expliquez-moi ce qui se passe ! Vous dites que votre enfant a disparu ? Depuis combien de…

— … on l’a pas vu de la journée !

Il montra la chaussure, la basket qu’il avait trouvée.

— Depuis le début d’après-midi, précisa Jo.

— Ouais, c’est pareil, il a disparu ! s’exclama Jean-Marie en tapant du poing sur le comptoir.

— Bon, alors, on va commencer par se calmer, eh ? Je vais vous faire passer à l’intérieur. Qui est la maman du petit ?

Francisca fit un pas en avant.

— C’est moi, fit-elle dans une voix fluette. Mangin leva une petite trappe qui permit de faire passer le couple. Tous deux accompagnèrent le militaire jusqu’à un bureau.

— Il est pas là le chef ? demanda de nouveau Benezet.

Cette question agaçait Mangin. Apparemment, le père de l’enfant voulait parler avec l’adjudant mais celui-ci n’était tout simplement pas disponible et le maréchal des logis se sentait parfaitement capable de prendre une déposition.

— Non, il n’est pas là, répondit-il sèchement. Je vais prendre votre déposition.

Benezet grogna en entendant ces mots.

— Ma déposition ? Mais il faut commencer à le chercher bordel de merde, on sait pas où il est !

— D’accord, d’accord, mais premièrement, vous allez m’expliquer ce qui s’est passé et me donner plus d’informations. Et vous allez vous calmer, c’est compris ?

Francisca acquiesça du chef, sentant les paroles et l’expression de son interlocuteur comme un gage de professionnalisme. Il fallait s’en remettre à ceux-là même capables de retrouver son enfant au plus vite. Avant de fermer la porte, Mangin se dirigea vers un autre bureau où se trouvait un de ses collègues. Il lui adressa quelques mots qui le firent bondir de sa chaise et se précipita vers l’extérieur.

Le couple s’assit derrière un bureau.

— Bon, alors, racontez-moi ça ? interrogea-t-il dans un accent méridional.

La jeune femme prit la parole dans un sanglot.

— Mon fils, Gabriel Benezet, il a dix ans, il est grand comme ça.

Elle montra une main plane à la hauteur de son visage. Le gendarme avait déjà commencé à prendre des notes sur un calepin et sans lever les yeux interrompit la jeune femme.

— Vous avez une photo ?

— Oui, là.

Elle sortit d’un portefeuille une petite photo prise dans un photomaton et la tendit à Mangin qui la prit et la posa sur le bureau.

— Quand est-ce que vous l’avez vu pour la dernière fois ? En début d’après-midi a dit votre amie ?

— On n’y était pas ! répondit Benezet le regard dans le vide.

— Qu’est-ce qu’il portait comme vêtement ?

Jean-Marie posa violemment la chaussure sur le bureau.

— Puisqu’on vous dit qu’il a disparu, vous voyez pas qu’on a trouvé sa godasse sur le bord de la route.

Le gendarme leva un regard sévère vers le père de Gabriel.

— On va s’en occuper !

— Quand ?

— Il faut d’abord que vous nous donniez des informations. Comment était-il habillé aujourd’hui ?

Benezet agita la tête, passablement nerveux il commençait à se ronger les ongles. Francisca se leva et sortit du bureau. Elle s’approcha de Jo et lui chuchota à l’oreille.

En un rien de temps, elle informa à son tour Mangin qui nota immédiatement.

— Tee-shirt bleu, Bermuda rouge !

Soudain, le bruit d’une porte ouverte avec fracas se fit entendre. L’adjudant Simon venait d’entrer en soulevant ces quatre-vingt-dix kilos d’un air plutôt léger. Ancien joueur de rugby, le Carcassonnais avait le front dégarni et un regard bleu perçant. En saluant du regard les parents de Gabriel, il s’adressa directement à son subalterne.

— Bon qu’est-ce qu’on a ?

— Apparemment une disparition, sur la mi-journée. Vous vous en êtes rendu compte à quelle heure ? interrogea Mangin.

— Vers 18h !

Benezet regarda du coin de l’œil son ex-femme qui lui lança un regard assassin.

— Le petit, il reste avec ma mère pendant que je travaille.

Simon regarda la photo et appela l’autre gendarme qui était resté sur le pas de la porte.

— Mazu, tu pars immédiatement à la papeterie sur Ferdinand Perthus, tu fais faire un agrandissement de la photo et une vingtaine de photocopies. Couleur !

Il tendit la photo à son collègue et s’assit sur le bord de la table. Il s’adressa directement aux parents avec son accent du sud-ouest.

— Normalement, on ne fait rien avant 24 heures depuis la disparition.

La mère éclata en sanglots en entendant les mots de l’adjudant. Celui-ci reprit en se penchant vers elle.

— J’ai dit normalement ! Mais on va envoyer une patrouille, ne vous inquiétez pas.

Il tenta en vain de rassurer la jeune femme lorsque Mangin demanda.

— Où avez-vous trouvé la chaussure ? Vers où vous pensez qu’il a pu se perdre ?

— Il peut pas se perdre, il connaît la garrigue comme sa…

— … il s’est perdu en garrigue ? interrompit l’adjudant.

Il croisa un regard appréhensif avec Mangin. Francisca en entendant l’étonnement du militaire redoubla ses sanglots et commença à se secouer de spasmes qui inquiéta Jean-Marie. Il appela les deux autres femmes à la rescousse.

— On a quelqu’un dehors ? demanda Simon à Mangin qui répondit par un mouvement de tête négatif. Appelle Girard, tu prends le F5 !

Il se tourna vers Benezet.

— Vous l’avez trouvé où la chaussure ?

— Au croisement entre Montrodier et la route de Poulx, sur un talus avant le pont de l’autoroute. Je peux venir avec vous ! ajouta Jean-Marie.

L’adjudant acquiesça.

— Vous avez des chiens policiers ? demanda Jo, essayant d’apporter sa petite contribution.

L’adjudant la regarda surpris, sans savoir si la question était sérieuse. Mais il répondit avec tact.

— Beh, ici, c’est une petite gendarmerie. On va déjà commencer par se rendre sur les lieux.

 

 

 

Extrait n°2

Jo se souvenait des premiers mots entendus, la gardienne la poussant légèrement vers l’intérieur.

— Jeanine, tu t’en occupes ?

— Pas de problème, cheffe !

La porte s’était refermée dans un bruit sourd. Jeanine lui avait indiqué d’un regard froid le lit du haut. Appuyant sa tête contre la couchette, de longs sanglots l’avaient secouée.

— Ça fait toujours ça la première fois, t’inquiète, on s’y habitue.

— J’ai rien fait, j’le jure, j’ai rien fait, je sais pas pourquoi je suis là !

— Écoute, me raconte pas ta vie, j’en n’ai rien à foutre. T’es avec moi ici pour pas que tu fasses de conneries, rien de plus !

— Mais j’ai rien fait !

— Ta gueule ! Déjà que je peux pas blairer les assassins de gosses, commence pas à me dire que t’es innocente !

Djamila poussait son chariot de nourriture sur le couloir désert du module. Sur le premier niveau, une énorme marmite avec des pâtes. La sauce tomate dans une casserole plus petite juste à côté. En dessous, des baguettes de pain, des fruits. Elle passait, cellule par cellule, frappait à la porte, remplissait les assiettes, repartait pour la suivante, une gardienne la suivant du coin de l’œil au fond du couloir.

Elle savait être sympathique parfois, surtout avec les filles comme elle, originaire du Maghreb. Quelques mots avenants échangés en arabe ainsi que la distribution du déjeuner et du souper rompaient la monotonie de l’enfermement.

Lorsqu’elle arriva devant la quatorze, elle se racla la gorge avant de cracher dans la sauce tomate. Elle frappa sur la lourde porte et Jeanine vint l’ouvrir. Djamila dévisagea l’Antillaise qui était assise sur sa paillasse. Jeanine lui indiqua le menu. Sans répondre, elle haussa les épaules. La codétenue tendit deux assiettes à Djamila qui les remplit avec les pâtes et la sauce tomate.

Juste au moment où Jeanine allait se retourner vers sa cellule, la Maghrébine la retint par le bras.

— J’ai un message pour toi, de la part de Reyes.

La vieille femme hocha la tête.

— Demain, t’iras pas à la salle de bains, t’as compris ?

Elle la fixa de longues secondes.

— Vous êtes complètement tarées ! grogna-t-elle.

— Je suis juste la messagère, t’as pigé ?

Jeanine la fusilla du regard et referma la porte.

Jo n’avait évidemment pas fermé l’œil. La nuit avait pourtant été calme, sans incident. On était dimanche et on l’avait informée qu’une petite messe se célébrait dans une petite salle de la prison. Elle voulait bien s’y rendre malgré les restrictions et chercher du réconfort. Apparemment, pour la femme qui l’accompagnait, ce n’était pas une bonne idée.

Vers huit heures, le verrou de la porte se fit entendre. Elle s’ouvrit et une fonctionnaire que Jo n’avait pas encore vue lui intima de prendre ses affaires de toilette.

— Jeanine, toi aussi, lui indiqua la gardienne.

— Chef, je me sens pas très bien, j’ai la gerbe, je crois que je vais rester au plumard.

— Bordel, je peux pas être partout ce matin ! soupira-t-elle. Bon allez Lafleur, grouille-toi, j’ai pas que ça à foutre ! aboya-t-elle à Jo.

Jo prit une serviette, un savon et suivit la fonctionnaire. Le couloir paraissait comme endormi. Pas un bruit ne sortait des cellules mais elle trouvait l’endroit lugubre.

La salle de bains consistait en une série de lavabos avec un miroir pour chacun sur un côté et des cloisons qui séparaient des douches sur l’autre côté.

— T’as cinq minutes, pas plus ! lui indiqua la gardienne. T’es pas au Ritz !

Jo s’empressa de se déshabiller et se mit dans le premier compartiment.

Ce n’est qu’au bout de quelques secondes qu’elle entendit des cris venant du couloir.

Une détenue sortit d’une porte entrouverte et poussait des hurlements.

— Chef, chef, y a Latifa qui se fait passer à tabac !

La fonctionnaire s’approcha d’un pas pressé vers les cellules. Elle prit son walkie-talkie en main pour vociférer des propos imperceptibles pour Jo. Les bruits l’encouragèrent à aller encore plus vite dans sa toilette.

Soudain, dans l’encadrement de la douche, elle vit apparaître deux femmes qu’elle n’avait pas encore vues jusque-là.

— Hija de la gran puta, te voy a rajar ![1]

Reyes se tenait devant elle avec un objet pointu dans la main. Paquita se saisit de Jo par les cheveux et l’agenouilla sur le sol détrempé. La gitane glissa, provoquant son inévitable chute. Reyes donna plusieurs coups de pied sur le visage de l’Antillaise qui commençait à se débattre. Les bruits du couloir couvraient les appels à l’aide de Jo, mais rien n’y faisait, Reyes continuait de plus belle, jurant en espagnol. Paquita réussit à se relever et la traîna par les cheveux vers l’extérieur de la douche. Elle se mit à califourchon sur elle et commença à donner des coups de poing.

Le sang gicla du nez et de la bouche de la Martiniquaise et elle perdit connaissance, son visage se transformant en quelques secondes en une boule de chair ensanglantée.

Paquita se mit debout, essoufflée et regarda d’un air satisfait le sang qui maintenant s’écoulait des oreilles de Jo.

— Vamos ! s’écria Reyes avant de lui asséner un dernier coup de pied dans la tête en lui crachant dessus.

 

 

 

Extrait n°3

Elle s’approcha des chambres des filles. L’une d’elles était fermée. Elle l’ouvrit et une surprise de taille s’offrit à elle. Lors de sa dernière visite, Antoine lui avait volontairement caché là où il dormait, prétextant un honteux désordre. Mais rien de tout cela. Sur trois pans de mur, toute l’affaire Benezet était compilée. Les photos agrandies de pratiquement tous les impliqués trônaient au beau milieu. Une nappe en papier accrochée sur un mur retraçait la chronologie des faits. Une vieille photo de la brigade en noir et blanc, prise le jour du départ de Simon, avec un Mazurier rajeuni et sans son énorme bedaine la fit sourire. Des couleurs venaient souligner des mots. Une photo de la route départementale 135 à la taille démesurée où des punaises identifiaient des points précis occupait une bonne place sur un autre mur. Des feuilles A4 éparpillées partout avec des notes complétaient ce décor, émerveillant la gendarme. Plus qu’une nouvelle perspective sur l’affaire, il était en train de faire une contre-enquête.

Elle s’était couchée sur le lit et s’était saisie de ce qui ressemblait à une ébauche de résumé, d’article, maintes fois raturé, truffé d’annotations en marge et de passages biffés.

La théorie. Sa théorie.

Tout démarrait avec une étrange sensation sur la résolution de l’enquête. Expliquant que le pays était encore sous le choc de l’affaire de la Vologne, l’enquêteur principal avait voulu boucler un coupable le plus rapidement possible. C’était osé, mais plutôt original !

Couleur de peau ébène, trop jolie pour les péquenauds du coin et presque étrangère, on avait trouvé le cadavre dans sa voiture.

Quelques heures à la gendarmerie entre les mains d’un expert et voilà qu’on nous offrait une confession avec tous les détails. Déférée au Parquet, mise sous écrou et là, pas de bol ! Règlement de compte ou justice immédiate comme au Far West, on nous privait d’un procès en place publique. Mais dans le collectif populaire, c’était bien fait et puis surtout, on n’aurait pas à la nourrir toute sa vie aux frais du contribuable.

Oui, mais voilà ! Entre la passion qu’avait déchaînée l’histoire, l’horreur de la découverte et les aveux d’un coupable finalement idéal, certaines questions n’avaient pas été posées. Antoine, qui aime autant trouver des réponses comme s’il jouait au Cluedo, s’embarquait alors dans une aventure bien distincte de la fin escomptée.

Le premier coup de théâtre, c’était le témoignage du maître-nageur, l’alibi de la coupable, prouvant donc son innocence ! Lafleur pouvait-elle tuer le gamin, le laisser dans sa voiture, se nettoyer, passer voir son amant et partir à l’usine comme si de rien n’était ? Difficile à croire.

Les Meyer, notre joli petit couple de touristes qui se promenait par-là, peut-être avant, peut-être après la disparition de Gabriel aperçoit un vélo d’enfant sur le bord de la route et un fourgon de la gendarmerie. Ce serait tellement insignifiant si quelqu’un se rappelait avoir pris leur déposition. Pas de trace ! Trou de mémoire collectif ? Marie connaissait la réponse, mais les Meyer s’en souviennent encore. S’ils l’avaient inventé, se seraient-ils dérangés pour répondre à sa sollicitation ?

Ce dont on était sûr, au moment d’écrire ce texte, c’est que le vélo de Gabriel devait se trouver dans la maison de sa grand-mère. Mais il n’y était pas ! Ou il n’y était plus.

Autre fait troublant dans ses notes, c’était l’évocation du rapport d’autopsie de Gabriel. Lésions multiples avait commenté le légiste. Où mettre la main sur ce rapport ? avait écrit Antoine dans la marge, en rouge. Si on l’avait frappé au visage avec une pierre, ce serait résumé en traumatisme crânien. Rien de plus. Lésions multiples, cela veut dire passage à tabac, chute vertigineuse ou accident, songea-t-elle.

Elle tourna une page et tomba sur un point d’interrogation énorme au milieu. Sur la suivante, la description de la découverte du corps. Telle que tout le monde avait pu la lire, l’écouter ou la voir depuis plus de vingt ans. Un récit à faire froid dans le dos. Un gosse d’une dizaine d’années caché sous une couverture comme un chien écrasé.

Elle n’avait jamais vu de cadavre d’enfant tout au long de sa carrière, ne voulait pas en voir mais imaginait l’effroi, le dégoût et la douleur.

Puis venaient les conclusions. Elle hésita à les lire, après tout, il s’agissait de son travail et de son intime conviction. Un labeur très personnel qui lui avait pris des jours.

[1] Sale fille de pute, je vais t’égorger!

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