Extrait n°1

Le scrutin se déroule à main levée. Sur cent quatre-vingts votants, cent vingt-cinq se sont prononcés en sa faveur et soixante-dix ont montré leur désaccord, trois se sont abstenus.

Évelyne Blanchot ferme ce cahier réservé à cette décision. Les villageois suspendent la séance quelques instants, l’importance du moment ne leur échappe pas, car ils seront obligés de se serrer les coudes dans le dessein de maîtriser l’épreuve présente. La dépression, le stress et l’angoisse les terrassent. Leurs visages montrent la consternation causée par les évènements actuels. Ils patientent la suite des intentions de Jean.

Ce dernier énonce la teneur du prochain échange de vues qui concerne l’établissement d’un travail commun. Il consiste à ramasser des branches d’arbres, de fougères et des marrons.

— On les répartira entre la nourriture des humains et la pitance des animaux d’élevage. On satisfera ainsi les besoins jusqu’à la fin de l’hiver. Cette tâche exigera au moins quinze jours de labeur.

— Est-ce qu’un traitement de faveur permettrait aux dames de condition de ne pas exécuter cette besogne ? interroge Magalie.

Grande et svelte, fille d’un commerçant de Clevers, à son mariage, elle a construit sa vie au Mont. Elle imite de manière caricaturale les femmes de la bourgeoisie.

— Au regard des calamités, nous sommes tous égaux devant le danger ! réplique Jean.

Offusquée, elle se retourne vers son époux, Jean-Pierre, qui opine de la tête. Sans s’arrêter à sa silhouette robuste, petite et trapue, chacun remarque surtout ses larges mains. Il exerce le métier de restaurateur de meubles.

Ernest Benoit, artisan ébéniste, réside à Viremont. Quoique la blondeur de ses cheveux se soit fanée, ses cinquante ans n’entachent pas sa bonne humeur. Il coupe à brûle-pourpoint la parole de Jean en lui demandant la manière de comptabiliser le temps nécessaire à la réalisation de tâches de natures différentes. Jean lui rapporte à l’image d’un enseignant qui dévoile une nouvelle matière à une classe d’élèves attentifs qu’Évelyne dénombrera les apports et les prises, et dès que la pluie aura cessé, la personne chargée de la comptabilité soldera les crédits et les débits de chacun. Ainsi une créance ou bien une dette apparaîtra sur l’imprimé de la taxe d’habitation.

Les habitants entérinent ce débat par cent cinquante-huit votants en sa faveur, l’opposition quant à elle recueille quarante voix. Évelyne collecte les signatures des participants. Ce cahier se ferme et un autre s’ouvre.

En dépit des signes de fatigue et de lassitude visible sur le visage des délibérants, Jean continue de soumettre son projet au suffrage des habitants. Il ne doute pas que le motif de la session suivante restituera de la vigueur à l’expression directe de la volonté populaire.

— La chasse satisfera le besoin en viande, néanmoins celle-ci n’y répondra pas en totalité, en conséquence un prélèvement de bêtes d’élevage comblera le manque.

À la fin de sa phrase introductive de son plan, son regard inquisiteur se promène sur l’assistance, il s’attend à des réactions vives. Un tumulte se propage rinforzando.

— Je proteste, car ce projet constitue un vol. Il remet en cause mon métier, le bétail est la matière première de mon entreprise, j’ai acquis mes biens grâce à mon travail. Je ne me dessaisirai pas de mes avoirs au profit des autres, s’offusque Maurice Bigeard.

Ses mots grondent, son teint devient rouge.

— Lucien a construit presque tout seul un embarcadère voué au transport de ton bétail, cette tâche ne t’a pas dérangé. De même, tu n’as élevé aucune contestation, à l’instant où les habitants ont accepté de ramasser des branches et des fougères affectées à nourrir tes animaux. Si besoin est, j’imposerai une mesure de police, elle tendra à acquérir ton cheptel, au regard des circonstances, aucun juge administratif n’annulera ma décision.

Cette fois-ci, sa voix a atteint un niveau plus haut, les ponctuations se marquent à l’image de détonations de fusil. Les éleveurs haussent le ton, Jean interpelle Évelyne Blanchot, son timbre traduit sa volonté d’imposer sa décision.

— Prends en note ce règlement municipal !

Elle se met à ses ordres.

— J’interdis la pâture des animaux sur les terrains communaux sous peine de mille euros d’amende par bête et par jour.

Il se positionne debout et ses poings s’appuient sur la table.

— C’est un crime contre les droits de l’homme, ton ambition est de tuer la libre entreprise, hurle Maurice.

Son teint vire au violet.

— Crée les établissements de ton choix au milieu de tes terres !

L’intransigeance de Jean a brisé les cris de révolte des éleveurs, du coup, ils se montrent plus conciliants. Une majorité écrasante de cent quatre-vingt-dix personnes entérine la proposition de Jean, le parti du refus s’attire huit voix. Les habitants signent le procès-verbal.

Extrait n°2

Pendant la nuit au domicile des Garnier, Jérôme et Xavier dorment mal. Le souvenir d’Aurélie en sous-vêtements étouffe leur volonté de s’enfuir au pays des rêves. Ils se lèvent en caleçon et pieds nus. Ils s’approchent de la pièce où elle a rejoint Morphée. La fraîcheur de la nuit les saisit, en dépit de la cheminée et un poêle à bois placés au rez-de-chaussée, cependant, la chaleur n’atteint pas les chambres agencées à l’étage. Une bougie blanche entre les mains, en plagiant des enfants de chœur, ils marchent sans prendre le risque de réveiller quelqu’un. Leurs pas s’emboîtent un par un sans émettre un bruit, un chat n’agirait pas d’une manière différente. Derrière sa porte, ils écoutent, des sons se perçoivent. Au mépris de leur hésitation, leurs doigts frappent le battant. L’onomatopée « toc-toc » décrit le coup reçu par le panneau en bois. Elle résonne à leur ouïe au son de détonations du tonnerre, pourtant, seule, Aurélie devrait l’entendre. Elle ouvre. Ils la découvrent revêtue d’une grande chemise de nuit en toile blanche à l’aspect rêche. Cette tenue affadissante contredit leur imagination, ils la voyaient porter toutes sortes de négligés plus affolants les uns les autres. Cet habit se révèle digne d’une religieuse qu’une abbesse aurait enfermée à l’intérieur d’une cellule de son couvent.

— Que voulez-vous à cette tardive ?

— Nous aimerions connaître le ressenti d’une future mariée, lui affirment-ils en chœur.

— Allez donc poser cette question à Arnaud.

— Est-ce qu’un changement s’est opéré sous ta chemise de nuit ? se risque à demander Xavier.

— La fraîcheur de la température me retient de vous le montrer, car elle me transforme en glaçon.

— Descendons vers la cheminée ! lui proposent-ils.

Des tisons finissent de se consumer au milieu de l’âtre. Ce dernier diffuse sa chaleur, tandis que le poêle à bois disposé de manière à combler un coin propage la sienne, imité par celui de la cuisine. Une flamme ardente dévore le corps des garçons. Le désir d’Aurélie se maintient depuis plusieurs heures. En fin d’après-midi, elle tablait sur un moment tendre en compagnie de son amoureux, elle et Arnaud se tenaient la main en écoutant Magalie et Noémie, pendant que ses songes lui dévoilaient l’indécence. Une question se tient au bout de ses lèvres.

— L’avait-il au moins compris ?

Elle se doute d’une réponse négative, puisque les préparatifs du mariage occupaient son esprit.

Le brasier se réduit de minute en minute jusqu’à sa mort certaine au petit matin. Des frissons la parcourent. Elle saisit le bas de sa chemise de nuit, la soulève sans se presser. La respiration des garçons se révèle plus rapide. En string et soutien-gorge noir, elle se tourne et facilite ainsi l’admiration de son postérieur. Ils regardent sa cambrure des reins, ses fesses rondes et charnues capturent leurs yeux. Elles les troublent de manière obscène. Elles deviennent l’égale d’un avant-goût de paradis. Le jardin d’Eden accepte d’ouvrir sa porte. Ils halètent et s’approchent d’elle. Leurs mains s’avancent vers son corps. Elle leur interdit de toucher et soupire. Cette prohibition, chuchotée, simule un alanguissement, alors ils l’interprètent en une invitation. Elles l’ont atteint et caressent ses fesses aussi brûlantes que le charbon ardent. Leurs doigts dégrafent son soutien-gorge, ses seins jaillissent et ses mamelons et tétons saillent durs et gonflés. Ils descendent et assaillent son string, celui-ci quitte sans regret ses grandes jambes. En un ultime geste de pudeur, sa main dissimule son trésor féminin. Enhardie par l’ambiance, elle masse leurs sexes fermes, et s’accroupit à la hauteur de leurs bassins. Ses doigts agrippent leurs caleçons et les ôtent. Elle frôle sa tête contre leurs pénis dressés et insolents. La braise rougissante joue le rôle d’une voyeuse, le crépitement du feu inspire la cadence de leurs accouplements.

Extrait n°3

Jean s’empare d’un carton, descend à la cave, s’assied et ouvre une enveloppe en papier kraft qui renferme des prises de vues d’Anne-Lise, de sa naissance à ses quinze ans, il jette le contenu au sol, elles s’étalent. Ses yeux brillent, ses mains tremblent, il ne l’a jamais aimée, lors de sa venue au monde, il l’a considérée à l’exemple d’une intruse dont l’unique dessein consistait à lui voler ses parents. Des clichés entre les doigts, il les déchire. Un rictus barre son visage, la haine se saisit de ses gestes maladroits. Ses mains tremblent, sa tension augmente. Au bout de cinq minutes, son cœur bat trop vite. Un besoin de respirer lui impose un arrêt. Des scènes reviennent, il les ressent à l’image d’un cauchemar. Il désire les oublier. Cette appétence se mue en idée fixe. Il les déteste. Sa mémoire se révèle cruelle. Ses yeux s’observent taper ce bébé sans laisser de traces, plus elle vieillissait, plus les coups s’amplifiaient. Il frappait surtout le crâne. Seule en sa présence, ses hurlements et ses sauts de tous côtés traduisaient sa volonté de se cacher, par la suite ses peurs et ses cris l’ont accompagnée à chaque instant de sa vie.

Il s’assimile à un monstre, cependant le retour sur le passé s’avère impossible. Il ne répara pas ce dommage. De nouveau, il s’énerve, cet état d’excitation limite son pouvoir de réflexion. Les photos, en mains, se déchirent d’un mouvement mécanique. Le regret et la haine le piègent. L’animosité ne s’est pas arrêtée de vivre, les années ne l’ont pas effacée. Plus aucun motif ne la justifie aujourd’hui, elle lui enserre la poitrine, vrille son esprit. Il vibre à ses soubresauts.

Au même moment, Jeancard apparaît à l’entrebâillement de la porte, sa femme le conduit. Il vient le chercher parce que quelques questions sont revenues le titiller, mais cette fois-ci, Monsieur le Procureur de la République a ouvert une information.

 

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.