Extrait 1

Lorsque la légiste arrive sur place, l’après-midi est bien entamée et la scientifique est intervenue sur les abords. Isabelle arbore un large sourire

— Ce n’est pas vrai, Sonia ? Tu es toujours en poste à Montpellier, ça me fait plaisir de te voir.[1]

— Et toi, revenue de Guadeloupe ?

— C’est loin derrière, j’avoue que j’aurais volontiers prolongé mon séjour. Mais nous y retournerons pour voir notre fils.

— En fait, ce sont les morts qui nous réunissent ! En parlant de mort, nous en sommes où ?

— Nous t’attendions pour sortir le corps de l’eau.

— La scientifique a fait son boulot ?

— Nous sommes là ! Vous pouvez y aller, dans un premier temps, c’est bon. Sortez-le avec précautions.

— Raphaël, tu organises la remontée du cadavre. Tu as entendu le lieutenant de la scientifique : avec ménagement !

— J’ai déjà vu un macchabée, mais de loin ! Tu ne peux pas donner ce boulot à quelqu’un de plus aguerri ? Remonter mon premier cadavre, tu en as de bonnes !

— Ce sera en quelque sorte ton baptême du feu !

— Si je comprends bien, c’est à moi que revient cet honneur !

— Il faut bien une première fois. Ne va pas tomber à l’eau, ça ferait désordre. Faire un câlin à un cadavre, ça me fait froid dans le dos.

— Promis, je vais éviter !

— Ensuite, lorsque tu en auras fini avec ce pauvre type, tu prends deux des nôtres et tente d’en savoir un peu plus auprès des riverains.

Malgré les difficultés créées par les branchages, le mort est remonté, puis disposé sur un linceul mortuaire. La PTS en charge de la collecte, de l’identification et de la préservation des preuves intervient une seconde fois.

— Il est à vous docteur ! En ce qui nous concerne, c’est terminé.

La toubib de l’IML enfile ses gants, s’avance, inspecte attentivement le corps et prélève des échantillons. Elle le retourne sur le ventre, fait les constatations d’usage non seulement sur l’aspect physique, mais également sous un angle médico-légal, puis termine les prélèvements utiles à l’enquête.

— Alors Sonia, quel est ton verdict ?

— Ne sois pas aussi impatiente, Isabelle, laisse-moi le temps d’enlever ces bandes. Ce que je peux te dire, c’est que ce gus, s’est fait défoncer l’arrière du crâne par un objet du genre massette, et ça post-mortem. Il n’a pas vraiment été ménagé, il est couvert d’ecchymoses, de blessures. Un choc dû à une chute probable.

— Ce serait la cause du décès ?

— Non, la véritable cause de sa mort est cette plaie, certainement faite par un couteau de chasse cranté sur les deux faces, du genre Hattila. Les chairs ont subi un arrachement au passage de la lame. La vraie interrogation est : pourquoi ce coup de masse, alors qu’il était décédé ? Les autres blessures sont certainement dues aux rochers, aux pierres, aux branchages, lorsqu’il a été traîné par le courant. Je te confirme tout cela dans mon rapport.

— As-tu une première approche en ce qui concerne ces bandelettes, une raison précise, un rite ?

— Minute, je vais y arriver. Si celles-ci sont placées ainsi, la seule explication, c’est l’intention de bloquer un objet dans la gorge du mort. Qu’il ne puisse ni l’avaler, ni le recracher.

Sans un commentaire, Sonia défait avec attention le bandage qui enserre le cou. Elle s’attaque au second et met l’ensemble dans une pochette plastique destinée aux preuves. Elle sort de sa trousse une longue pince fine, qu’elle glisse délicatement dans la bouche du défunt et en ressort un objet rond.

La capitaine est intriguée :

— Qu’est-ce que c’est cet objet que tu viens de sortir de sa bouche ?

— Sans doute une ancienne monnaie de bronze. Aucune indication d’atelier, de frappe, ni de date, à vérifier. Voilà une question à résoudre, tu vas devoir te rapprocher d’un numismate. Bien que ce genre de monnaie ne semble pas être dans le domaine des objets rares

— Si le meurtrier a pris soin de bloquer la gorge et la bouche, c’est que cette pièce doit avoir une signification, une valeur, une symbolique. Selon toi, quand le meurtre a eu lieu et à quelle heure ?

 

 

Extrait 2

Isabelle ne peut y croire, ses yeux fixent l’horreur, incapable de comprendre. Elle est bouleversée et contient sa peine, mais soudain le barrage cède. Les larmes, discrètes, se muent en sanglots convulsifs, dévoilant une douleur qu’elle ne peut plus taire. Elle tombe à genoux.

— Isabelle, tu m’entends ? Allez me chercher une couverture et allongez-la.

Ses yeux semblent à présent perdus dans le vide. Avec difficultés elle essaie de se redresser, Sonia est obligée de lui venir en aide.

— Tu m’entends, tu vas bien Isabelle ?

— Ça va aller ! C’est un choc énorme et surtout inattendu.

— Tu le connais ?

— Malheureusement oui ! Je viens de son domicile où j’espérais le revoir. Nous avons travaillé ensemble dans le cadre d’une affaire, une série de meurtres à Tautavel. Je ne pensais pas le revoir dans cet état. C’était un type formidable et un super flic.

— Je peux commencer ? Tu vas tenir bon ? Va t’installer dans la voiture, lieutenant emmenez-là !

— Non, j’ai été prise au dépourvu et l’émotion m’a submergée. Je peux supporter, c’est bon !

Assistée de la PTS, Sonia entame l’examen minutieux du corps, puis le retourne pour tenter de déterminer les causes et circonstances du décès. La légiste apporte ses premières conclusions.

— Il est évident qu’il est décédé. Tout comme pour Chenu la cause de sa mort est due à ce fameux poignard de chasse cranté. Le geste est similaire, de bas en haut, un droitier sans nul doute. La marque de la massette sur le crâne est post mortem, pourquoi ? Il me semble que ce type suit un rituel, pour preuve les bandelettes. Quant à sa mort, je la situe hier au soir entre 21h et minuit. Passons maintenant à ces bandes !

Avec précautions, la légiste défait délicatement les tissus, les isole, et comme elle s’y attendait, elle va devoir enlever la pièce coincée dans la gorge. Elle utilise de longues pincettes. Elle paraît identique, une seconde monnaie ancienne ! Ce qui tend à démontrer que non seulement le tueur est bien le même, mais il suit une logique, sa logique, mais laquelle ?

Sonia la première, rompt le lourd silence qui s’est installé.

— Selon moi, nous avons affaire à un assassin qui, curieusement, semble avoir une prédilection pour les canaux. Sa façon de tuer est similaire, comme l’arme, comme l’enveloppe du cadavre. En plus, il y a cet enfoncement de la boîte crânienne fait avec un outil identique, sans omettre ces monnaies anciennes. C’est un rituel sacré ou profane, mais il doit être associé à un contexte spécifique qui renforce leur signification. Ou,… ou alors ce mec a l’intention de nous balader en nous faisant avaler une couleuvre.

 

 

Extrait 3

À quelques distances de là, une vieille demeure isolée, sans lumières apparentes, s’enfonce dans le sombre de la nuit naissante. À l’intérieur, règne une atmosphère lugubre. Une ampoule diffuse une clarté blafarde, des araignées tissent leur toile entre les poutres noircies par le temps. Face à une femme terrorisée grelottant de froid se trouve une silhouette mystérieuse, menaçante, recouverte d’une cape et d’une capuche imposante.

Marie Colinot est là, debout, complètement nue. Elle a repris progressivement ses esprits. Ses pieds sont attachés à un ancien radiateur en fonte, entièrement recouvert d’une grande bâche plastifiée qui protège également le sol devant elle. À sa gauche, se trouve une ancienne baignoire remplie d’eau. Ses yeux horrifiés fixent la forme immobile.

Marie se concentre sur sa respiration, essayant de ralentir le rythme effréné de son cœur. Chaque battement résonne dans ses tempes, comme un compte à rebours inexorable. Son regard se pose sur l’eau sombre de la baignoire, telle une glace où se reflète sa propre détresse. Elle lève les yeux vers le plafond, comme si elle pouvait espérer y trouver une réponse, un miracle.

Une petite voix intérieure, sourde et persistante, lui rappelle les événements qui l’ont conduite à cette situation. Elle avait, par curiosité, fouillé dans les dossiers de son mari Pierre Chenu. C’est là qu’elle avait compris qu’il enquêtait sur une affaire des plus délicates. Elle en avait touché deux mots à René Marcillac qui avait aussitôt rebondi sur les possibilités de se faire un avenir au soleil. Marie, elle, en savait trop, beaucoup trop, et c’était l’avis de son bourreau.

Dans un dernier sursaut, elle tente de plaider sa cause. Sa voix, une voix brisée, s’élève dans l’air frais et humide de la pièce.

— S’il vous plaît, ne me faites pas de mal, supplie-t-elle, les larmes coulant sur son visage. Je vous en prie, écoutez-moi !

Aucune réponse ne vient troubler l’ambiance glaciale de cette pièce. Elle reprend sa supplique espérant faire fléchir cet inconnu.

— Je vous assure que je n’ai rien dit, par pitié ne me tuez pas ! Comme vous me l’avez demandé, j’ai placé la pièce sur la tablette à l’intérieur de sa chambre.

Un lourd silence oppressant répond comme un écho à sa prière. Une colère sourde monte en Marie. Elle serre les poings, les muscles de ses bras se tendent. Peut-être existe-t-il encore une chance de s’échapper ? Avec une force surhumaine, elle tire sur les liens qui retiennent ses pieds. Le radiateur reste solidement ancré dans le mur. Elle glisse, se relève, vacillante. Déterminée à faire face, dans un dernier sursaut de colère, Marie lui crie :

— Tu n’es qu’un salaud, un malade, un pervers, tu te régales de ma nudité, pauvre mec !

Il est vrai que ce type prend le temps d’admirer la parfaite harmonie du corps de Marie. Il se délecte, s’approche et caresse les courbes avantageuses de Marie. Puis se recule et lui répond froidement :

— Tu sais que tu es belle ? Le seul souci c’est que tu es un témoin gênant.

— Laissez-moi partir, je vous jure que je resterais muette comme une…

Elle vient de réaliser que ce dernier mot qu’elle allait prononcer n’allait pas être en adéquation avec ses espérances. Marie comprend alors qu’elle est seule face à son destin.

— Muette comme une tombe ? Quelle tristesse, pour une si belle femme !

Il s’avance lentement, pendant qu’elle hurle de terreur. De dessous sa cape, il sort un poignard de chasse cranté.

[1] Référence à Meurtres dans la Clape.

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